Un jour, j'ai publié sur Twitter, pour m'amuser, une recette de biscuits au chocolat que je venais de préparer. Oui, une recette en 140 frappes. Dix secondes plus tard, les lecteurs me suppliaient de mettre une photo des biscuits en ligne. «Pour te croire, m'ont-ils répondu, on veut les voir.»

Quand je voyage, c'est la même chose. «Montre-nous, montre-nous», disent les lecteurs de mon blogue quand je leur parle cuisine. Si j'avais eu un appareil photo au moment de ma visite chez Alinea, je suis certaine que j'aurais tout photographié. Et que Grant Achatz aurait sûrement été très fâché contre moi.

 

Oui, la facilité avec laquelle on peut afficher des photos sur l'internet encourage la demande pour des images. Or, l'image a toujours fait partie du monde de l'alimentation, où tous les sens sont interpellés, même la vue. Qui n'a jamais commandé un plat après avoir aperçu celui du convive de la table voisine et trouvé qu'il avait l'air appétissant? Dans plusieurs pays d'Asie, au Japon notamment, on met carrément en vitrine des restaurants des maquettes plastifiées des plats offerts. Comme ça, on peut d'abord voir ce qu'on va manger.

Lancé aux États-Unis, un nouveau site web cherche à répertorier en images les menus de tous les restaurants: foodspotting.com. On peut se nourrir des images pour choisir où aller manger. Et quand on va au resto, on peut alimenter le réseau en envoyant des photos des plats que l'on vient de se faire servir. Et ça roule.

Je ne suis pas étonnée que ce soit le chef Achatz qui ait fait la sortie publique anti-photo dont ma collègue Marie-Eve Morasse parle dans cette page. Alinea est un restaurant de cuisine moléculaire, un monde culinaire rempli d'effets spéciaux où très souvent le temps joue un rôle crucial. Attendre quelques secondes avant de manger un potage aux carottes pour pouvoir l'immortaliser ne change pas grand-chose à l'expérience. Par contre, quand un serveur d'Alinea arrive avec un plat ponctué d'écumes évanescentes ou avec un dessert posé sur un coussin d'où émanent des parfums de thé éphémères, l'attente peut tout gâcher.

Que M. Achatz soit agacé par les photographes en herbe est donc tout à fait compréhensible. Comme il serait tout à fait admissible qu'un chef ou un autre se plaigne parce que des photographes amateurs mettent en ligne des images ratées ne faisant pas honneur à leur art.

À tous ces gens déçus, je dirais tout simplement: interdisez les photos dans vos restos. Des tonnes de commerces empêchent déjà la prise de clichés dans leur établissement pour toutes sortes de raisons d'affaires. Rien de plus simple. Et pas de quoi en faire tout un plat.