Jeudi dernier, c'était le Jour de la Terre. Celui où on essaie de faire un geste pratico-pratique bien écolo, en espérant que l'exercice soit concluant et qu'on en prenne l'habitude.

Je voulais faire ma petite part. Je prends donc la liste des trucs conseillés par les organisateurs de la fête en question et je tombe sur toutes sortes d'idées, dont cette évidence qu'on oublie trop souvent: mettre le lavage à sécher sur une corde ou un séchoir, plutôt que dans la sécheuse électrique.

 

En plus, j'adore les cordes à linge. Je les trouve touchantes, surtout quand elles s'accrochent aux fenêtres, entre les pots de fleurs, ou qu'elles traversent les venelles lisboètes ou napolitaines, colorées, insouciantes, humbles... Mon rêve serait d'en avoir une sur le toit de ma maison, comme à Rome, comme Sophia Loren dans Une journée particulière.

Bref, j'adore les cordes à linge, sauf que chez moi, à Montréal, je n'en ai pas.

Il n'y en avait pas quand j'ai déménagé. Mes voisins n'en ont pas. J'ai toujours tenu pour acquis, bêtement, que c'était interdit. Et nulle part, d'ailleurs, par la fenêtre, pouvais-je voir, jeudi matin, la moindre parcelle de vêtement étendue au grand air.

Après quelques recherches auprès de la Ville et sur la Toile, j'ai fini par comprendre, toutefois, que la corde à linge n'était pas totalement prohibée dans la métropole et que je pouvais, si je le voulais, m'en installer une.

Sauf que la corde est loin d'être totalement libre non plus.

Certains arrondissements la permettent sans restriction, mais une bonne dizaine a décrété non réglementaire l'étalage de linge à sécher en façade, l'équivalent, donc, d'une interdiction totale pour tous ces Montréalais résidant dans des logements sans cour arrière et dont le seul balcon donne sur la rue.

Dans certains arrondissements, on précise même que la corde à linge ne doit pas être visible de la voie publique, ce qui signifie que les maisons installées sur les carrefours ne peuvent en avoir.

À L'Île-des-Soeurs, elles sont carrément bannies, peu importe où.

Je vous le dis, certains arrondissements ne sont pas tendres et ne ménagent pas les mots. «Le fait d'étaler, exposer ou accrocher du linge, des vêtements ou autres objets qui sont étendus, aux fins de séchage ou autres, sur les balcons, les galeries, les terrains, les poteaux, les séchoirs et les cordes à linge faisant face à la voie publique constitue une nuisance», lit-on dans le Règlement concernant la paix, le bon ordre et les nuisances de l'arrondissement d'Anjou.

Sur le site web, on dit même: «Par respect pour votre voisinage, veillez à effectuer l'entretien régulier de votre corde à linge, en vous assurant que son mécanisme ne grince pas de manière excessive. Bien des bruits peuvent nous agacer. Pourtant, s'il en est un facile à éliminer, c'est bien celui causé par le grincement d'une poulie, puisqu'il suffit de lubrifier le mécanisme.»

Donc, je résume: d'un côté, on est assommé par les messages écologiques d'économie d'énergie. Et de l'autre, on se fait dire, par la municipalité, que pour éviter les problèmes, vaut mieux sécher en privé.

* * *

En Ontario, il y a exactement deux ans, le gouvernement a décidé de régler cette contradiction en adoptant une loi qui interdit aux villes d'interdire les cordes à linge. En d'autres mots, le droit à la corde à linge - et par cela j'inclus les autres types de séchoirs extérieurs - est officiellement reconnu et ne peut être brimé par un quelconque règlement municipal.

Aux États-Unis aussi, on observe un vaste mouvement pro-corde à linge, qui croit qu'on peut sauver le monde «une brassée à la fois».

Les militants de ce mouvement, qui estiment que 50 millions de foyers américains n'ont pas droit à la corde à linge, essaient de faire valoir leur droit au séchage éolien, notamment dans les communautés privées où «étendre» est souvent interdit. Leur militantisme a même fait l'objet d'un article à la une du Wall Street Journal et est raconté dans le documentaire Drying for Freedom.

En gros, leur bataille se joue contre ceux qui croient que pendre du linge à l'extérieur n'est pas élégant et fait baisser la valeur des maisons dans les communautés qui le permettent. L'ironie, dans tout cela, c'est que pendant qu'on interdit les cordes à linge, les fabricants de lessive, eux, multiplient les efforts pour produire toutes sortes de produits plus odoriférants les uns que les autres, histoire de reproduire cette impression de «fraîcheur printanière» ou de «brise estivale» évoquant l'idée de vêtements ayant séché dehors, portés par le vent.

À Montréal, c'est aussi l'apparence des cordes à linge qui a été à la source des interdictions (et aussi leur hauteur, dans les ruelles où les camions pouvaient les accrocher). Mais peut-on, aujourd'hui encore, sachant tout ce que l'on sait sur la nécessité d'économiser de l'énergie, se permettre une telle coquetterie, fort discutable en plus?

Sécher à l'électricité, en plus, coûte cher. Aux États-Unis: 5 milliards par année. Dépense absurde, non, quand on sait que, maintenant, on fait tout pour produire plus d'énergie... avec du vent?