Samedi, fin de journée au fin fond de la campagne. Pas de télé. Pas d'Internet. Pas de radio. Juste un cellulaire. Un cellulaire qui permet de jeter un regard sur le site web Twitter, une fois de temps en temps: les manchettes du New York Times et de Cyberpresse, la météo de Mitsou...

On est samedi, donc, et je m'attends à ce que Ruth Reichl, rédactrice en chef de Gourmet - que je «suis» parce qu'elle ponctue le site de ses réflexions gastronomiques et sur Twitter, on choisit qui on «suit» - nous fasse un commentaire sur une soupe aux carottes rouges ou une nouvelle sorte de bacon bio. Sur ce site, on parle de tout et de rien en 140 caractères. Une tragédie, un nouveau disque, une réflexion rigolote sur une aberration de la vie en ville.Sauf que samedi, Reichl change de cap et réachemine d'un coup à tous ses «suiveurs» - et c'est là l'essence même de l'utilité de Twitter - un message provenant d'un journaliste du réseau américain ABC à Téhéran: «La police a confisqué notre caméra et nos cassettes. Nous filmons les manifestations et la violence policière avec nos téléphones cellulaires.»

En si peu de frappes, il n'y a pas grand-place pour la nuance. Mais il y a amplement d'espace pour l'essentiel.

Et perdue au fin fond de ma campagne, j'étais soudainement un peu dans les rues de Téhéran.

Depuis samedi, le dossier «iranelection» sur Twitter n'a pas dérougi. Lorsqu'on va sur le site et qu'on embarque sur ce sujet, on découvre un univers où les messages entrent à la pelletée. Des photos des manifs - du sang, des masses de gens marchant en paix densément, de la violence policière - des vidéos, des liens sur des blogues.

Pour garder le cap, on cherche les sources sûres, les journalistes des grands médias, qui étampent de leur sceau professionnel les informations diffusées. On part aussi en quête des sources officielles. Rapidement, on constate qu'un intervenant appelé persiankiwi, par exemple, relaie abondamment l'information du camp des manifestants antigouvernementaux et semble fiable pour ce côté du débat. On lit aussi des messages communiquant aux gens sur place des adresses de serveurs relais permettant de contourner les blocages des censeurs. Et puis on reçoit d'autres mots enjoignant à tous les «twitteurs» de se déclarer basés en Iran, histoire de rendre la tâche plus difficile à ceux qui tentent de retracer les dissidents.

Twitter ne fournit pas de reportage. On y trouve des morceaux d'un puzzle à assembler. Un puzzle que les journalistes mettront ensemble un peu plus tard dans leurs topos et articles, que les analystes et les commentateurs nous aideront à terminer.

On a dit que la révolte contre la victoire des communistes en Moldavie, en avril, a été la première «révolution Twitter», ou encore la première grande action collective post-cellulaire et post-SMS, Twitter fournissant une meilleure toile de réseautage pour informer en un seul clic. Aujourd'hui, les événements moldaves ont l'air de répétition générale comparé à ce qui arrive en Iran.

Twitter permet d'informer les Iraniens entre eux - notamment pour les appeler à manifester - et de diffuser l'information à l'extérieur du pays, en contournant la censure locale. Au moment d'écrire ces lignes, les journalistes étrangers n'avaient plus le droit de couvrir les manifestations. Son importance est telle que même le département d'État américain est intervenu auprès des administrateurs du site. Il a demandé qu'une mise à niveau, prévue pendant la nuit de lundi à mardi en Amérique, mais en plein jour en Iran, et qui aurait eu pour effet de créer une panne d'une heure, soit reportée à un moment creux, heure de Téhéran (en plein après-midi à San Francisco). Trop essentiel pour les communications là-bas, a-t-on dit au site.

«Nos vies sont en réel danger maintenant», pouvait-on lire hier soir sur un «tweet» de persiankiwi.

«Nous sommes les yeux - ils doivent nous arrêter.»