La viande n'a jamais été aussi populaire. Joue braisée par-ci, côte ou jarret par-là, cochonnailles là-bas. On en voit partout. À Montréal, la tendance est évidemment portée par l'immense popularité du très influent Pied de cochon, spécialiste du ragoût de pattes et de la poutine au foie gras. Mais c'est la même chose en France, en Angleterre et aux États-Unis, où une nouvelle génération de chefs s'amuse autant avec les os que les abats.

Mais jusqu'où ira-t-on avec ça? Quand la vague sera passée, où irons-nous?

À la fin de la deuxième journée du festival Montréal en lumière, qui célèbre cette année son 10e anniversaire et en a profité pour inviter toute une délégation de chefs français, la réponse s'impose: l'avenir est au légume.

 

Évidemment, cela a tout à voir avec le chef Alain Passard, président d'honneur du volet gourmand du festival, qui cuisinait vendredi soir au Toqué!. On a pu goûter à son assiette de petits légumes laqués au beurre salé, où radis et betterave rivalisaient de croquant, de fraîcheur et de douces amertumes déclinées sur les tons de rose. Il y avait aussi le fameux damier de pétoncles et de truffes à l'huile de noisette, sans parler de ces ravioles au poireau nageant dans un consommé au céleri, un plat fin, léger et émouvant comme ce moment où l'on découvre pour la première fois que les carottes poussent bel et bien dans la terre.

M. Passard, lui, fait le pari que, tôt ou tard, le légume s'imposera. Sa thèse, qui repose principalement sur le fait que, côté créativité, le légume est un territoire à peine exploré, est aussi remplie de bon sens pour toutes sortes de raisons pratico-pratiques.

D'abord, parce que le marché montréalais commence à être saturé de restaurants de type «bistrot ou brasserie réinventant le tartare de gibier et le cassoulet». On a beau les adorer, du Pied de cochon au nouveau La Fabrique, en passant par Le Local et La Salle à manger, la ville commence à avoir un bon nombre de ces lieux où on réinvente la poutine tout en déclinant et en redéclinant les tartares. Pour le prochain bistro, ne sommes-nous pas prêts, à la place, pour un pied de céleri braisé ou un tartare de radis?

Ensuite, le légume est un produit moderne qui permet d'éviter les problèmes écolo-éthiques que posent de plus en plus viandes et poissons. Le légume n'est pas à l'abri de tout, surtout quand il est cultivé industriellement. Mais il laisse, de façon générale, une empreinte écologique pas mal moins importante que les viandes ou les poissons. Cultiver le poireau n'a jamais détruit la forêt amazonienne. Et pour cueillir des asperges, on n'endommage pas tout l'environnement avoisinant de la même façon que les chalutiers de fond arrachent tout sur leur passage en pêchant les poissons des fonds marins.

Troisièmement, à moins de parler de truffe, le légume demeure, de façon générale, pas mal moins cher que la viande ou le poisson. En temps de récession, en faisant les maths correctement, il y a donc certainement moyen d'aller chercher des marges intéressantes sur ce produit en y apportant une valeur ajoutée significative. Et c'est là que le travail des chefs devient intéressant et qu'ils ont tout à gagner: le légume, enfant pauvre de la cuisine, porteur de bien des mauvais souvenirs d'enfance, a besoin de leur aide.

Dernière raison: les temps changent, et le succès de toute la littérature anticancer - qui porte beaucoup sur les bienfaits des légumes -, les chiffres alarmants sur l'obésité, et le vieillissement de la population - qui a donc moins faim - ouvrent le chemin vers les légumes. Oui, direz-vous, mais le restaurant Les Chèvres a essayé en 2001 de faire une cuisine très pro-légumes et ça n'a pas marché. À ce moment-là, le marché montréalais n'avait pas encore eu sa surdose de viande.

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> Coup de coeur: Les ravioles au poireau d'Alain Passard

> Le plan: Aller au repas d'anniversaire du festival, hier soir, au Beaver Club - préparé par des chefs totalisant entre eux 10 étoiles Michelin - et aller faire un tour au marché Jean-Talon, aujourd'hui, où les producteurs du mouvement Slow Food Les Montérégiennes tiennent salon, à l'étage de l'immeuble du marché, rue Henri-Julien.

> Recommandations: S'il y a encore de la place quand vous lirez ceci, je vous recommande vivement la soirée d'Inaki Aizpitarte à La Montée (75$ par personne, 514-289-9921), jeudi ou vendredi. Ou alors les repas de la grande chef d'origine marocaine Fatema Hal, mardi ou mercredi, au Vertige (55$ par personne, 514-842-4443).

 

Souper arrosé, avez-vous dit?

Le repas du 10e anniversaire du festival Montréal en lumière, au Beaver Club, a été littéralement interrompu par une douche froide, hier soir, quand une surchauffe dans l'une des cuisines de l'hôtel Reine-Elizabeth a déclenché les gicleurs et une alarme générale dans tout l'établissement.

«On a senti quelque chose. Je me demande bien ce qui s'est passé», a dit Claire Chaillez, qui était tout près de la zone inondée.

Plusieurs cuisiniers qui travaillaient dans ce coin de la cuisine ouverte sur la salle à manger ont reçu une douche sur la tête et plusieurs convives ont dû se déplacer.

Quand les pompiers sont arrivés, plusieurs dames en ont profité pour se faire prendre en photo en leur compagnie, en rigolant.

Quelque 110 personnes assistaient à ce repas à 300$ le couvert pour lequel cuisinaient six chefs français dont les restaurants cumulent ensemble 10 étoiles Michelin.

La situation est revenue à la normale après une trentaine de minutes et le service a pu reprendre, puisque les plats façonnés par ces chefs réputés étaient protégés dans une autre section des cuisines.