La dame devait avoir 70 ans. Elle riait en parlant au docteur malgré la douleur que lui causait sa jambe blessée. Elle était arrivée par ambulance aux urgences d'un grand hôpital montréalais depuis de nombreuses heures quand le médecin, que je suivais à la trace pour un reportage, l'a finalement examinée avant de demander une série de tests.

La dernière fois que je l'ai aperçue, elle s'apprêtait à passer la nuit en chemisette sous les néons, dans une salle d'attente, en compagnie de punks égarés qui écoutaient MusiquePlus à la télé suspendue au plafond, compagnons d'infortune improbables d'un système de santé aux mille promesses non tenues.

 

Hier, quand j'ai lu dans le reportage de ma collègue Ariane Lacoursière que grâce à un plan d'action pro-efficacité préparé par la firme de consultants en gestion McKinsey, certaines urgences avaient réussi à faire diminuer leurs temps d'attente et donc, à améliorer leur fonctionnement, j'ai rappelé le médecin qui m'avait invitée à venir voir ces visages de la crise aux urgences.

«Et alors, ça va mieux?» lui ai-je demandé.

J'ai compris rapidement, par sa façon de chercher ses mots, qu'il n'avait pas envie de jouer les Schtroumpfs grognons et de dégonfler le ballon, mais qu'en même temps, il n'était pas super enthousiaste.

- Eh bien...

En gros, m'a-t-il dit, le travail que ces équipes d'analyse font est fort utile, car il manque souvent aux milieux hospitaliers une culture de productivité dans les gestes ordinaires.

On ne parle pas ici de la façon de poser un diagnostic et ou de l'art de faire un bandage, mais plutôt de toute la paperasserie et des procédures qui entourent la médecine.

«C'est la différence, mettons, entre un système où on peut avoir accès automatiquement à des résultats de tests dès qu'ils sont prêts et un système où il faut d'abord avoir à demander si les résultats sont prêts, pour ensuite devoir demander qu'ils soient imprimés, attendre, et ensuite avoir à aller les chercher.»

Et franchement, il n'est pas difficile de s'imaginer les hôpitaux remplis d'absurdités administratives et procédurales encrassant le système, que seul un regard spécialisé et extérieur puisse identifier et corriger.

«Mais est-ce que cela est suffisant pour enrayer les problèmes des urgences? a-t-il ajouté. Non.»

Car le coeur du problème demeure le manque d'infirmières expérimentées capables de faire rouler efficacement la machine, le manque de lits où envoyer les malades qui doivent être hospitalisés et engorgent les urgences tant qu'on ne leur a pas trouvé une place, et le manque de médecins de famille capables de répondre aux problèmes de santé mineurs, notamment le soir et le week-end, afin que les urgences ne soient pas utilisées comme des cliniques sans rendez-vous.

Durant la campagne électorale, le premier ministre Jean Charest a fait des promesses visant à répondre à ces problèmes de fond du réseau. Il a promis de l'argent aux infirmières, pour encourager notamment les jeunes à choisir cette profession et pour convaincre les plus expérimentées de rester plus longtemps avant de quitter ce réseau qui a désespérément besoin de leur savoir.

Les libéraux ont aussi promis d'investir dans la formation de médecins de famille et d'augmenter de façon importante le nombre de «groupes de médecine familiale», ces unités regroupant des omnipraticiens qui se proposent comme une réponse moderne à la disparition du médecin de famille d'autrefois.

Bref, les libéraux ont lancé des idées et promis de l'argent.

Maintenant, reste à savoir s'ils feront vraiment ce qu'ils ont dit. Et reste à être patients, car même avec le mieux intentionné des gouvernements, on ne produit pas instantanément des médecins et des infirmières capables de s'occuper comme il se doit des vieilles dames en chemisette qui attendent sous les néons.