Les journalistes font des erreurs. En début de semaine, le réseau TVA a prétendu que les dirigeants de deux mosquées du quartier Côte-des-Neiges avaient exigé par contrat que des femmes ne travaillent pas sur un chantier voisin pendant la prière du vendredi.

En conséquence, cinq femmes « ont dû être réaffectées ailleurs, selon une information obtenue via le compte Facebook de TVA Nouvelles », indiquait le reportage. On sait désormais que c'était faux. Même si c'était écrit sur Facebook...

« On a attribué des intentions, on a mis le feu », a conclu jeudi, après une enquête, la présidente de la Commission de la construction du Québec, Diane Lemieux. Le soir même, TVA a fait une « mise à jour », déclarant que « les versions recueillies auprès des intervenants avaient évolué » et que « la situation semblait découler d'un important imbroglio entre les divers intervenants ». Formules sibyllines visant, non pas à s'excuser, mais à rejeter la faute sur les autres.

Les journalistes font des erreurs (moi le premier). Et ces erreurs ne sont pas toujours sans conséquence. La Meute, un groupe d'extrême droite, a profité de « l'imbroglio » pour attiser l'islamophobie dans ses rangs et annoncer une manifestation le vendredi, jour de prière, devant deux mosquées ayant clamé leur innocence, moins d'un an après l'attentat de Québec...

Le groupe s'est ravisé jeudi soir. « Même si nous avons l'intime conviction que c'est vrai, nous ne pouvons risquer la réputation de La Meute sur des rumeurs », a fait savoir son porte-parole. Le risque, s'il est à la mesure de la réputation, n'était pas très grand. N'empêche que, même sans trop de manifestants, les mosquées - qui ont reçu des menaces - ont requis une forte protection policière vendredi.

Cette controverse, créée de toutes pièces, aurait pu être évitée. Mais les erreurs, elles, sont inévitables. Il est important de les admettre et de les corriger le plus tôt possible, en faisant les précisions qui s'imposent. TVA a attendu jusqu'à vendredi 11 h pour se rétracter et retirer le reportage de son site. Il était plus que temps.

Cela dit, même ces excuses en bonne et due forme ne seront pas suffisantes pour réparer les torts faits par la diffusion de cette fausse nouvelle. Le magazine américain Pacific Standard faisait état en début de semaine d'une nouvelle étude de l'Université de Gand, en Belgique, publiée dans la revue Intelligence, sur la prégnance des fausses nouvelles. Les chercheurs ont constaté les difficultés qu'ont certaines personnes à bien comprendre et assimiler les précisions et corrections apportées par les médias à des reportages.

Deux psychologues, Jonas De Keersmaecker et Arne Roets, ont recruté en ligne 390 sujets. La moitié d'entre eux ont été interrogés sur leur perception d'une courte biographie qu'ils avaient lue sur une jeune femme mariée, nommée Nathalie. L'autre moitié du groupe a lu une description plus longue de la vie de cette infirmière, dont on précisait qu'elle avait été surprise à voler et à revendre des médicaments - pour s'acheter des vêtements griffés - dans l'hôpital où elle travaille.

Les deux groupes ont dû répondre à une série de questions s'apparentant à celle-ci : cette infirmière est-elle digne de confiance ? Puis, après voir lu un avertissement très clair, indiquant que les informations voulant que Nathalie ait été reconnue coupable de vol et de recel étaient fausses, le deuxième groupe a lu une version corrigée de sa biographie avant de répondre de nouveau à des questions sur sa perception de la jeune femme.

Après avoir été soumis à des tests sur leur capacité à changer d'avis, leur rapport à l'autorité et leur tolérance à l'ambiguïté, les sujets ont été départagés grâce à des exercices de littératie mesurant l'intelligence et les capacités cognitives. Les résultats de l'étude, sans surprise, témoignent du fait que moins les capacités cognitives des lecteurs sont grandes, moins sont grandes les chances qu'ils révisent leur jugement sur une situation donnée après une précision ou un correctif apporté à une information erronée.

Parmi les sujets qui avaient été exposés à la fausse information selon laquelle Nathalie volait des médicaments, les moins performants dans les tests d'intelligence étaient les plus sévères dans leur appréciation de la jeune infirmière. Alors que la différence d'appréciation n'était pas significative entre les plus vifs d'esprit de ce deuxième groupe et ceux du premier groupe, qui n'avaient pas eu d'information sur les faux antécédents judiciaires de l'infirmière.

Les « faits alternatifs », concluent les chercheurs, ont une grande influence auprès d'une couche de la population incapable de faire abstraction de sa première impression d'une situation, même après que des faits nouveaux, avérés, vérifiés, ont changé la donne.

En d'autres termes, une fausse nouvelle ne peut être oubliée facilement par tout le monde. Elle fait plus de ravages chez certains esprits plus obtus, imperméables aux nuances, précisions et autres rectificatifs.

On aura beau leur répéter qu'une information est fausse, ils resteront convaincus que leur première impression est la bonne. Surtout si elle les conforte dans leurs préjugés (d'autres études le démontrent).

Si quelqu'un - prenons au hasard un membre de La Meute - a la « conviction intime », peu importe les enquêtes menées, les nouveaux faits rapportés et les excuses prononcées, que les dirigeants d'une mosquée sont coupables d'avoir voulu exclure les femmes d'un chantier avoisinant, il sera bien difficile de lui faire entendre raison. Même en lui répétant que la nouvelle qu'il a d'abord lue ou entendue était inexacte. D'où l'importance pour les journalistes et les médias de bien vérifier leurs sources...

Malheureusement, les politiciens ont compris qu'une fausseté peut facilement être assimilée à une vérité par une importante proportion de la population. Il suffit qu'elle soit diffusée largement, avec un minimum de persuasion, sans même que ce soit sur une plateforme médiatique reconnue - prenons, toujours au hasard, Fox News -, pour que le « mal » soit fait.

Une étude de l'Université Oxford, publiée en juin dernier et menée pendant deux ans dans neuf pays - notamment au Canada par des chercheurs de l'Université Concordia -, a démontré l'efficacité des médias sociaux à relayer de fausses nouvelles et manipuler l'opinion publique. La propagande des « robots » russes n'est pas une lubie de scénario de science-fiction. (Le confrère de Radio-Canada Jeff Yates a révélé cette semaine l'existence de sites de faux médias québécois, hébergés en Russie et Ukraine, dont certaines « nouvelles » ont été relayées par des militants islamophobes.)

Le New York Times a relevé plus d'une centaine de mensonges éhontés de Donald Trump depuis le début de sa présidence. « Il semble pratiquement indifférent à la réalité », a conclu jeudi le quotidien de référence américain. En y ajoutant les exagérations et demi-vérités, le Washington Post a dénombré quelque 1600 plus ou moins fausses déclarations du président américain depuis 11 mois.

II s'en trouvera, en cette ère de scepticisme, de prolifération des théories du complot et de fake news, pour dire que les médias mentent aussi. Des médias, malheureusement, leur donnent parfois raison. Alors que les médias traditionnels sont plus que jamais fragilisés, contestés et discrédités - et pas seulement par le président des États-Unis -, la vigilance est de mise. Autant pour les journalistes que pour le public.

Comment distinguer le vrai du faux, alors que des photos d'ours polaire rachitique circulent sur les réseaux sociaux et que des quidams bernent volontairement des journalistes ? En exerçant son libre arbitre et son esprit critique, bien sûr. Et en faisant confiance aux médias dignes de ce nom. Même, et surtout, lorsque ceux-ci reconnaissent leurs erreurs.