L'art a le don d'être en phase avec l'actualité. Les éléments se déchaînent, le réchauffement climatique fait des ravages, les mouvements d'extrême droite sont décomplexés, la peur de l'autre est devenue socialement acceptable, voire « présidentiable »... Et le cinéma en témoigne.

Présentés hier au Festival international du film de Toronto, deux films, scénarisés bien avant Charlottesville ou Irma, traitent avec intelligence et humour de phénomènes très actuels tels le racisme, l'exclusion ou la mauvaise gestion des ressources naturelles. Deux oeuvres, qui mettent en vedette Matt Damon, rappellent à certains égards Pleasantville (film des années 90 de Gary Ross) et s'intéressent à ce qu'il y a derrière la façade lustrée des choses.

Downsizing d'Alexander Payne est un récit fantaisiste autour de la découverte révolutionnaire de scientifiques norvégiens permettant à l'humain de se miniaturiser, réduire les méfaits de la surpopulation et ainsi laisser une plus petite empreinte sur l'environnement. Suburbicon, polar réalisé par George Clooney d'après un scénario des frères Coen, raconte notamment l'arrivée d'une famille afro-américaine des années 50 dans une banlieue proprette du nord-est des États-Unis, où le concept de « diversité » se résume à être originaire du Dakota ou de l'Ohio.

« Comme le disait Oscar Wilde, lorsque tu racontes la vérité aux gens, assure-toi de les faire rire en même temps, sinon ils risquent de te tuer ! », a rappelé hier en conférence de presse Alexander Payne, maître de la satire sociale.

Downsizing s'inscrit dans la même veine tragicomique que ses films précédents (Citizen Ruth, Election, About Schmidt, The Descendants, Sideways, Nebraska), avec une nouvelle variante de science-fiction. « C'est nouveau pour moi, les effets spéciaux, dit Payne. J'ai insisté pour qu'ils aient l'air banals. »

Cette histoire délirante d'un homme ordinaire qui accepte d'être miniaturisé (Matt Damon, réduit à une taille d'environ cinq pouces), à l'instar de 3 % de la population mondiale, est truffée de répliques comiques. Mais c'est aussi un récit beaucoup plus sombre que celui de Honey, I Shrunk the Kids ! - sur le même thème - destiné sans doute à faire réfléchir les climatosceptiques. Dans la mesure du possible.

« Dans notre ville miniature, il y a des Mexicains et des Sud-Américains qui vivent entassés derrière un mur. On n'avait pas anticipé que cette image serait si proche de la réalité », précise Alexander Payne, qui a commencé à travailler sur le scénario de Downsizing avec Jim Taylor en 2006. « C'est un film très humaniste, ajoute Matt Damon. Qui se termine de manière optimiste, malgré le climat politique actuel dans mon pays. »

Matt Damon se dit particulièrement fier de ce film unique et original, qui est aussi tendre que sardonique : « J'ai été étonné qu'il puisse être fait par un studio hollywoodien [Paramount]. C'est la preuve que les films ne sont pas encore morts ! Je dirais la même chose de Suburbicon. »

CLOONEY À LA SAUCE COEN

Dans le film de son ami George Clooney, Matt Damon interprète un autre rôle aux antipodes de celui de Jason Bourne (de la série de films d'action du même nom). Père de famille archétypal des années 50, il a en tête un projet saugrenu qui implique sa femme handicapée et sa belle-soeur (toutes deux interprétées par Julianne Moore) et qui n'est pas sans rappeler celui, tout aussi foireux, du personnage incarné par William H. Macy dans Fargo.

Scénarisé tôt dans leur carrière par les frères Joel et Ethan Coen, puis laissé en plan, le récit a été jumelé par George Clooney à l'histoire vraie d'une famille afro-américaine victime d'intense intimidation dans une banlieue blanche de la Pennsylvanie, dans les années 50. Leurs voisins se relayaient, nuit et jour, pour faire du tapage, entonner des chants religieux et accrocher des drapeaux confédérés autour d'une clôture qu'ils avaient eux-mêmes érigée autour de la maison.

« J'ai grandi dans les années 60 et 70 dans un village du Kentucky, rappelle Clooney. Je croyais naïvement que la ségrégation était une chose du passé, que nous allions tous désormais dans la même direction. Mais nous sommes restés plutôt immobiles. Autant dans le Sud que dans le Nord, qui préfère s'en laver les mains. Lors de la dernière campagne électorale, des gens ont construit des clôtures autour de leurs maisons pour se "protéger" des Mexicains et des Arabes. Pendant le tournage, Trump a été élu. Le pays s'est enflammé. Les gens, de tous les camps, étaient en colère. Alors on a changé un peu le ton du film, qui était au départ plus burlesque. Parce que c'est une histoire compliquée. »

On sent du reste ce compromis dans Suburbicon, qui ressemble à une oeuvre des frères Coen sans en être une tout à fait. L'humour noir n'est pas aussi grinçant. Comme si George Clooney, hésitant, était resté coincé entre deux chaises, plaquant son manifeste antiraciste sur un polar sanglant à la Blood Simple.

N'empêche que Suburbicon renvoie inévitablement aux récents événements de Charlottesville et rappelle que les États-Unis ne sont pas une nation aussi évoluée que certains le prétendent.

« On ne sait pas, lorsqu'on fait un film, qu'il risque de trouver un écho dans les événements de l'actualité, rappelle Matt Damon. On ne pouvait pas prédire Charlottesville pendant le tournage, même si cette présidence a revigoré un mouvement [raciste] mené par des gens qui sortent désormais de l'ombre. Ce problème n'est jamais disparu, malgré une guerre civile. Nous sommes comme des enfants d'un divorce qui refusent d'en parler. "C'est bon, c'est réglé !" Ce n'est pas réglé. Et on continuera d'en subir les conséquences si on refuse de le voir en face. »

Au-delà du nationalisme, il faut s'entraider en faisant fi des frontières, estime de son côté Julianne Moore en évoquant le plus récent film de l'artiste dissident chinois Ai Weiwei, présenté à la Mostra de Venise (comme Suburbicon et Downsizing). « Il faut s'impliquer, croit aussi George Clooney, lui-même reconnu pour son travail humanitaire. Autant pour les gens de Houston qui ont perdu leur maison que pour les réfugiés syriens. On doit tous s'impliquer. Dans les années 60 et 70, cela allait de soi. C'était quasi obligatoire. J'espère qu'on va y revenir. »