«Moi aussi, j'ai une chaîne YouTube, papa!» Il m'a dit ça comme si cela relevait de l'évidence, du siège arrière de la voiture, au retour du camp de jour. Il m'aurait dit «Moi aussi, j'aime la crème glacée au chocolat, papa!» qu'il l'aurait fait avec la même désinvolture.

Une émoticône décrirait mieux que des mots mon expression faciale dans le rétroviseur. J'hésite entre bonhomme-jaune-aux-sourcils-en-circonflexes-et-bouche-en-croissant-vers-le-bas et bonhomme-jaune-aux-yeux-exorbités-et-joues-rosies-de-surprise. Disons que j'étais interloqué et un peu honteux.

Je venais d'apprendre que son ami H. avait lui aussi sa propre chaîne YouTube, sur laquelle il diffuse ses prouesses au soccer. «Moi, je ne mets rien sur ma chaîne, a ajouté Fiston, tentant sans doute de rassurer son vieux bonhomme jaune. C'est juste pour faire des likes!» Ah! Si c'est juste pour «liker»...

J'ai pensé à mon ami Alex, qui m'avait raconté quelques semaines plus tôt avoir refusé à sa fille sa propre chaîne YouTube. Non seulement je ne savais pas que mon fils de 12 ans avait sa propre chaîne, mais je ne savais même pas qu'il était possible d'en avoir une! Il aurait fondé Télévision Quatre Saisons, une coiffe de chef amérindien sur la tête, que je ne serais pas plus au courant. Un peu honteux, oui.

«Tu veux que je t'apprenne comment ça marche, YouTube?», m'a-t-il lancé, une pointe d'ironie dans la voix, en faisant sans doute référence à la vidéo du Français Cyprien à propos de ses parents techno-déficients. J'ai eu envie de lui répondre que jusqu'à tout récemment, il prononçait You «Tube» (à la française).

«Es-tu aussi abonné à Facebook?», lui ai-je plutôt demandé à mon tour, croyant naïvement être rassuré par un «NOOON!» retentissant. Je n'aurais pas dû lui poser la question. Il est abonné à Facebook, malgré le fait qu'il n'a pas les 13 ans requis. «Mais je n'écris rien! C'est juste pour avoir accès au marché des transferts de FIFA 16 [son jeu vidéo préféré]. C'est même pas sous mon vrai nom et je ne me rappelle même plus mon mot de passe!»

Me voilà rassuré... Ses amis H. et N. sont venus manger à la maison la semaine dernière. L'occasion de sonder ce mini-panel de préadolescents sur leur utilisation des médias sociaux. Pour rester en contact entre eux, ils utilisent Hangouts, lié à Google +, le réseau social de Google. Ils ont commencé à s'envoyer des textos - et à s'appeler - grâce à cette application, en cinquième année.

«On y est allés parce que personne n'y était, que c'était très facile à utiliser et parce qu'on avait tous un compte Gmail», m'explique Fiston. Traduction simultanée de mon «Google translate» intérieur: on y est allés parce que nos parents n'y étaient pas...

«Il y a une "convo" [conversation] pour la classe, une autre seulement pour notre gang», ajoute Fiston qui, l'an dernier, trouvait quelques commentaires parfois blessants pour certains, à la limite de l'intimidation. L'un des côtés sombres des réseaux sociaux.

Les modes étant passagères - a fortiori à la préadolescence - , «plus personne» de la classe de Fiston n'est sur Hangouts, semble-t-il (parce que c'est devenu trop populaire, ajouterait Yogi Berra). Mais la plateforme de Google est restée le lien de communication privilégié entre Fiston et son ami H., qui a déménagé aux États-Unis il y a un an et remarque que chez ses nouveaux copains du Middle School, le réseau social le plus en vogue est Snapchat.

«C'est une façon rigolo de texter, dit-il. Tu peux envoyer une photo en même temps et ça dure juste cinq secondes!» Snapchat, dont le contenu n'est pas aussi éphémère qu'on pourrait le croire, est en effet le réseau social le plus populaire auprès des adolescents américains, selon une étude du Pew Research Center. Loin devant Facebook, le réseau social préféré de leurs parents et grands-parents...

N., l'autre ami de Fiston, s'est abonné à Facebook afin de rester en contact avec des amis rencontrés dans un camp de vacances au Saguenay. «Mais j'ai fini par les perdre de vue et mes amis de Montréal ne sont pas sur Facebook, alors je n'y trouve plus vraiment d'intérêt», admet-il. N. est aussi abonné à Snapchat («Juste pour voir») et à Instagram, qu'il utilise plus fréquemment que les autres réseaux pour publier des photos - notamment de voyages - et chatter avec des amis.

H. est lui aussi sur Instagram. «J'y suis, mais très rarement, dit-il. La seule raison, c'est que mes amis y sont.» Bref, si vous cherchez à savoir quels réseaux sociaux fréquentent vos enfants, suivez leurs amis!

Ce sont du reste les adolescentes, davantage que les adolescents (toujours selon le Pew Research Center), qui se servent des médias sociaux où l'image est prédominante, tels que Snapchat ou Instagram. «Il y a plus de filles qui font des selfies, des duckfaces, des looks à la mode et qui changent souvent leurs photos de profil», remarque Fiston, tout en me jurant ne pas être abonné à Instagram (en voilà au moins un!).

«Il y en a aussi qui s'en servent pour séduire les filles, ajoute H. en riant. Mais ça ne marche pas!» Il me confie qu'à son école publique américaine, où chaque élève a accès à un iPad, même si les réseaux sociaux sont interdits, la plupart ont téléchargé sur leur tablette les applications les plus populaires.

«Dans chaque classe, seulement une personne sur 25 n'a pas de téléphone cellulaire», me dit-il. «À mon école aussi!», s'empresse d'ajouter Fiston, qui vient de terminer sa sixième année du primaire. Message reçu et lu, Fiston. On en parlera plus tard...

Ils ont 12 ans. Déjà, ils se méfient des journalistes (ou des pères?). Ils ne me confient certainement pas tout. Ils suivent des youtubeurs - surtout français, qui parlent de soccer ou de jeux vidéo -, ils regardent des séquences de foot sur Vine, et ils ont, chacun, leur propre chaîne YouTube. Sur laquelle ils diffusent quoi, au juste? Des «challenges»...

Mais encore? Avec des écouteurs sur les oreilles qui diffusent une musique forte, N. tente de comprendre les phrases de sa soeur en lisant sur ses lèvres (105 vues pour 9 abonnés). H., de son côté, s'adonne à un «crossbar challenge» avec un ami, c'est-à-dire qu'il tente d'envoyer un ballon de soccer sur la barre horizontale du but plus souvent que son adversaire (110 vues pour 34 abonnés).

Pourquoi donc faire partager ça, les gars? «C'est une façon de devenir célèbre. Et ça, c'est bien!», répond H. mi-figue, mi-raisin. «En fait, on est beaucoup moins sur les réseaux sociaux que d'autres. Nous, on préfère jouer dehors. C'est spécial. Ça ne se fait plus!»

Ah, les pré-ados qui manient l'ironie... J'hésite entre bonhomme-jaune-au-grand-sourire-avec-les-yeux-plissés-qui-rit-aux-larmes et bonhomme-jaune-qui-roule-des-yeux.