J'y ai découvert Fellini, Jarmusch et un sombre film de genre étranger avec Danielle Ouimet. Une semaine après la confirmation de la faillite d'Excentris, un autre pilier de la cinéphilie montréalaise rend l'âme. La Boîte noire, qui célèbre cette année son 30anniversaire, fermera définitivement ses portes à l'été. L'annonce en sera faite aujourd'hui.

En 2013, le club vidéo de répertoire avait été menacé de faillite. L'an dernier, il avait mis en vente 50 000 de ses films offerts jusque-là en location afin d'éponger une partie de ses dettes. L'entreprise ne déclarera pas faillite et ses créanciers seront tous remboursés, m'a confirmé son propriétaire et fondateur François Poitras.

«Avec la multiplication des plateformes et le déplacement de la clientèle vers la consommation de séries télé, ce n'était plus possible de continuer», dit-il. 

«La clientèle cinéphile était beaucoup moins assidue. Les jeunes ne suivaient plus. Et comme nous ne sommes pas trop spécialisés dans les films de superhéros...»

Mort inévitable

L'homme qui a fondé la Boîte noire en novembre 1986, dans un petit local à l'angle des rues Marie-Anne et Rivard, semble serein. Il ne tombe pas des nues. La mort des vidéoclubs est annoncée depuis un moment déjà et celle de la Boîte noire était devenue inévitable avec l'essor et la popularité des services de location numérique.

«Mon deuil est fait, dit François Poitras. Bien sûr que j'aurais pu me lancer dans le streaming il y a 10 ans, et les choses auraient peut-être été différentes. Mais c'était risqué et compliqué. Débloquer les droits, adapter la technologie, concurrencer les gros joueurs. L'expérience d'Excentris en ligne n'a pas été concluante non plus.»

L'industrie du club vidéo est à l'agonie depuis un moment (le géant Blockbuster a fait faillite au tournant de la décennie) et François Poitras gérait la décroissance. En 2012, la Boîte noire de l'avenue Laurier avait fermé ses portes après 15 ans d'existence. Celle du Vieux-Montréal avait cessé ses activités en 2009, après six ans d'exploitation.

Il y a à peine 10 ans pourtant, aux trois succursales montréalaises de la Boîte noire (dont le tout nouveau quartier général de l'avenue du Mont-Royal), Poitras projetait d'ajouter trois boutiques en banlieue de Montréal et de Québec. Mais les nouvelles technologies bousculent rapidement les vieux modèles d'affaires...

En 2010, quelque 94 % des revenus de location de films au Canada provenaient encore et toujours de vidéoclubs. Entre 2010 et 2015, les ventes totales de DVD et de Blu-ray au Québec ont chuté de 165 millions à 104 millions de dollars (selon l'Institut de la statistique du Québec).

Devant la baisse d'achalandage de la Boîte noire, François Poitras a commandé un sondage auprès de 400 anciens clients réguliers afin de savoir pourquoi ils ne fréquentaient plus son commerce. «La plupart disaient qu'ils voyaient moins de films, de façon générale. Une série ou un film de temps à autre sur Netflix et c'est tout.»

Poitras a tenté, sans succès, de vendre son entreprise dans la dernière année, en espérant qu'elle puisse connaître un second souffle. Des pourparlers ont été engagés avec un «important groupe français» sans aboutir à une proposition concrète. Le propriétaire a même envisagé un moment de se lancer dans la vente de disques vinyles, à la mode dans un marché de niche, mais y a rapidement renoncé.

Le service de location de la Boîte noire devrait être maintenu jusqu'en juin, et le local de l'avenue du Mont-Royal que l'entreprise occupait depuis 10 ans sera libéré au début d'août. Une quinzaine d'employés, pour la plupart à temps partiel, perdront leur travail. «Ce sont des encyclopédies vivantes», dit leur patron, qui se cherchera lui aussi un nouveau gagne-pain. «Je ne suis pas assez riche pour prendre ma retraite!», dit-il.

La Boîte noire est née il y a 30 ans de la volonté de François Poitras de rendre disponibles des oeuvres jusque-là inaccessibles du répertoire cinématographique international. Dans la première année de son vidéoclub, il a fait l'acquisition de quelque 350 cassettes d'occasion, certaines importées directement d'Europe à grand coût (jusqu'à 150 $). «C'était un peu cowboy», admet-il.

Trois ans plus tard, la Boîte noire emménageait rue Saint-Denis. C'est dans ce local mythique que plusieurs cinéphiles montréalais ont pu s'adonner à leur passion (j'en suis) en découvrant ou revisitant la filmographie des plus grands auteurs. Temple du cinéma de répertoire, la Boîte noire permettait un accès à des films parfois inédits au Québec - les premiers longs métrages d'Almodóvar, notamment -, que l'on retrouvait annotés dans le fameux Guide DVD, bible du cinéphile et base de données impressionnante sur le septième art.

Difficile transmission

Ce goût de la cinéphilie, inspiré par des institutions telles Excentris ou la Boîte noire, se transmet de plus en plus difficilement, dans un contexte où les lieux de diffusion et de distribution disparaissent. Et où les complexes cinématographiques, eux aussi en baisse (de 102 à 93 au Québec entre 2010 et 2014), n'en ont généralement que pour les films de superhéros. «Le jeune public n'a plus la même approche aux grands maîtres», s'inquiète François Poitras, en faisant référence à Bergman et Fellini. 

«Les festivals de cinéma sont devenus des festivals de têtes grises.»

Certes, il est plus simple que jamais aujourd'hui d'accéder à des contenus cinématographiques grâce à Netflix, iTunes et autres plateformes du type illico (qui chapeaute les films québécois du répertoire Éléphant). Mais on ne trouve pas toutes les perles rares de la Boîte noire ni dans la collection Criterion d'iTunes ni parmi la sélection internationale de Netflix, dont le catalogue compte tout de même quelques titres de Jacques Audiard, Asghar Farhadi, Paolo Sorrentino, Pedro Almodóvar et autres Abbas Kiarostami.

François Poitras était en quelque sorte le dernier des Mohicans. La Boîte noire est un autre grand symbole du cinéma à Montréal qui disparaît. Sa fermeture, combinée à celle d'Excentris, représente la fin d'une époque. Espérons désormais que ces tristes disparitions n'augurent pas aussi chez nous celle de la cinéphilie.