Au commencement était le Verbe, tsé. Et le Verbe, genre, n'était pas toujours bien conjugué. Nous sommes tous des créatures de Dieu, comme disait l'autre depuis son assise. Même les moins éclairées.

Des brebis s'égarent parfois sur le chemin du sens commun. Aussi, cette pauvre étudiante de 20 ans, Anne-Marie, candidate de téléréalité (ceci expliquant en partie cela) qui a déclaré, dans l'épisode de lundi dernier de l'émission socioculinaire Un souper presque parfait, à V, que «les handicapés, y'ont pas leur place dans la société, genre».

Elle a ajouté pour faire bonne mesure, en poursuivant la préparation de son dessert (un crumble à la crème de citron): «On ne peut pas traiter les handicapés genre pis le monde qui sont fous genre de la même façon que nous tsé. Ils font pas partie de la société parce que, en tant que tel, nous on paie pour eux, mais eux autres, genre tsé, ils contribuent à rien dans la société, genre c'est une classe à part.»

L'étudiante, elle-même dans une classe à part, en a eu pour son argent de commentaires agressifs et inélégants sur les réseaux sociaux, cette semaine, et a dû s'excuser pour ses propos méprisants qui ont provoqué la polémique. (On remplace dans son discours «les handicapés genre» et «le monde qui sont fous genre» par «les assistés sociaux tsé» et «les BS tsé», et on est à l'antenne de certaines radios.)

Le plus troublant dans ses excuses, c'est qu'elle a dit ne pas s'être reconnue dans sa propre déclaration... L'émission a beau avoir été enregistrée il y a quatre mois, tout de même! En voilà une que l'on n'accusera pas de s'écouter parler.

Devant le tollé, le producteur Zone3 et le diffuseur V se sont excusés à leur tour des propos de leur candidate. «Nous avons sous-estimé la portée de ceux-ci et nous regrettons profondément qu'ils aient blessé nos téléspectateurs», ont-ils déclaré sur les réseaux sociaux.

La question demeure: pourquoi la diatribe de cette concurrente n'a-t-elle pas été coupée au montage? Comment se fait-il que personne, ni chez le producteur ni chez le diffuseur, n'ait jugé bon d'agiter un petit drapeau rouge avant la diffusion de l'épisode? Parce que l'on savait pertinemment qu'il «ferait jaser»?

J'ai posé ces questions à l'animateur - ou plutôt «narrateur» - d'Un souper presque parfait, André Ducharme, devenu lui aussi la cible du courroux des téléspectateurs depuis lundi. À son avis, cette semaine spéciale «Québec» était très particulière. Les commentaires désobligeants étaient si nombreux que le montage a été extrêmement complexe. «Le trois quarts de ce qui a été dit a été coupé, dit-il. Il est resté le moins pire. Ce qui ne veut pas du tout dire que ce sont des propos acceptables.»

Le membre de Rock et Belles Oreilles et «chef scénariste» de Tout le monde en parle reconnaît que c'était une erreur de laisser ainsi s'exprimer Anne-Marie sans plus de mise en contexte (ses propos ont suscité un vif débat entre les participants, ce que les téléspectateurs ne verront pas étant donné que les épisodes de la semaine ont fait l'objet d'un nouveau montage).

André Ducharme précise qu'il n'a pas d'influence sur ce qui est diffusé finalement à Un souper presque parfait. Il n'est responsable que de ses propres commentaires et de sa narration de quelque 140 épisodes par saison. Cela dit, il était d'accord avec la décision de son producteur Guillaume Lespérance (aussi producteur délégué de Tout le monde en parle) de ne pas censurer les paroles controversées de la jeune candidate.

«On peut faire semblant que ça n'existe pas. Mais il n'y a pas juste une personne qui pense ça au Québec, malheureusement», constate Ducharme, qui est d'avis qu'il faut diffuser les propos même les plus méprisables afin de mieux y faire face. Le passage du polémiste Gab Roy à Tout le monde en parle, en 2013, en est un bon exemple, selon lui. «Je crois que sa présence à l'émission a été l'une des raisons pour lesquelles il s'est fait prendre [pour des attouchements sexuels sur une mineure].»

C'est un point de vue qui se défend, philosophiquement, moralement, juridiquement. Et avec lequel je suis parfaitement en désaccord. Certes, il y a d'un côté la liberté d'expression, qu'il faut chérir et défendre; mais il y a aussi, de l'autre, la responsabilité d'un diffuseur et d'un producteur devant des propos offensants et abjects.

Ce que dit cette jeune Anne-Marie ne se qualifie pas comme une incitation à la haine ou à la violence ni comme de la diffamation. Il reste qu'à mon sens, on ne devrait pas sciemment choisir de diffuser sur les ondes publiques, quatre mois après leur enregistrement, les propos de quelqu'un qui laisse entendre que les personnes souffrant d'un handicap ne sont pas des citoyens à part entière.

Ce n'est pas une opinion, c'est du mépris. Ce n'est pas parce que l'on a le droit de diffuser des âneries que l'on devrait les faire entendre. (Il n'était pas nécessaire d'exposer un large auditoire, sur les ondes de Radio-Canada, aux préjugés sans fondement du Doc Mailloux à propos des Noirs.)

Il existe des cadres plus adéquats qu'Un souper presque parfait, qui vire souvent au freak show, pour discuter des préjugés entretenus sur les personnes handicapées. Mercredi prochain, l'émission Banc public, animée par Guylaine Tremblay à Télé-Québec, soulignera justement le fait que bien que les gens handicapés n'aient jamais été plus scolarisés et diplômés, le marché du travail leur reste toujours aussi difficilement accessible.

«Mon rôle n'est pas de juger les participants ni de me moquer d'eux», se défend André Ducharme. Je le comprends et je ne doute pas du tout de sa sincérité. Mais se moquer des participants n'est-il pas le propre d'une émission de téléréalité? Aurait-il fallu protéger cette jeune femme de 20 ans d'elle-même? C'eût été, à mon sens, plus louable que d'exploiter son ignorance et de l'envoyer en pâture à des abrutis qui l'ont menacée de mort.

Je ne dis pas que cette Anne-Marie est une victime innocente d'un complot télévisuel. Je ne comprendrai jamais ces gens qui s'empressent de participer à des téléréalités et qui s'étonnent par la suite qu'on les invite dans des émissions de variétés (En mode Salvail, pour ne pas la nommer), non pas pour l'acuité de leur analyse politique, mais pour s'amuser à leurs dépens. Il ne suffit pas d'être majeur et vacciné. Un peu de «lucididididité» ne fait jamais de tort.

«Je me rends compte que mes positions philosophiques et Un souper presque parfait, ça ne marche pas ensemble!», conclut André Ducharme qui, malgré cette polémique (dont il se serait bien passé), n'a rien perdu de son humour. On se consolera, tsé, en se disant que ces propos méprisants ont au moins fait réagir. Tant qu'il y a de l'indignation, il y a de l'espoir. Genre.