Ce n'est pas seulement un symbole, la Cinémathèque québécoise. Ce n'est pas seulement une façade de verre, une coquetterie de cinéastes, un repère de cinéphiles. C'est notre mémoire cinématographique collective: en chair, en os, en acier, en béton et en bobines de pellicule.

Hier, à la veille du budget provincial «sans souliers neufs» du ministre Leitao, des employés de l'institution et des cinéastes - dont Charles Binamé et Léa Pool - s'inquiétaient en conférence de presse de la menace de fusion de la Cinémathèque québécoise avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

Il s'agit de l'un des scénarios envisagés depuis l'automne par le gouvernement Couillard, qui devrait, selon nos informations, décider du sort et de l'avenir des activités de la Cinémathèque d'ici la fin du mois de juin. Il n'est toutefois pas question de fermer la Cinémathèque, a assuré hier la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David.

La Cinémathèque québécoise, un organisme sans but lucratif, accuse un déficit annuel variant ces derniers temps de 500 000 à 700 000$. Ses employés craignent la suppression d'une dizaine de postes, sur environ 50, advenant une fusion avec la BAnQ. L'institution, vieille de 51 ans, a la double mission de préserver le patrimoine cinématographique (sa collection compte quelque 40 000 films et 30 000 émissions de télévision, essentiellement du Québec) et d'en assurer la diffusion.

Sous-financée de manière chronique depuis plus de 20 ans, la Cinémathèque peine à remplir son mandat. Aussi, ses employés réclament-ils non seulement l'assurance de son indépendance - notamment de la BaNQ -, mais l'injection de 800 000$ additionnels dans son budget annuel, afin d'éponger ses déficits récurrents et pérenniser ses activités.

C'est une demande qui peut sembler extravagante en ces temps imposés de rigueur et d'austérité. Dans tous les ministères, notamment à la Culture, on s'arrache les cheveux à tenter de trouver des solutions afin de réduire les dépenses et contenter les ténors d'un gouvernement qui s'est fait élire en promettant l'équilibre budgétaire.

On ne peut être contre la vertu. Mais s'il faut apporter sa contribution, sachant que le modèle de la Cinémathèque est déficitaire, y a-t-il lieu d'examiner la mise en commun de certaines de ses ressources avec la BaNQ? Y a-t-il une forme de double emploi justifiant une fusion, même partielle, des deux organismes? Lorsqu'on y regarde de près, cela ne semble pas du tout évident.

Au début du mois de mars, une lettre signée par plusieurs cinéastes, dont Denys Arcand, Micheline Lanctôt et Claude Fournier (initiateur du projet Éléphant), faisait écho à une tentative semblable de fusion entre la Cinémathèque française et la Bibliothèque nationale de France, qui s'est soldée par un échec.

Le milieu du cinéma québécois, de manière générale, demande au gouvernement une plus grande participation financière garantissant la survie de la Cinémathèque. Son statut d'organisme sans but lucratif empêche l'institution d'être financée à plus de 50% par des fonds publics. Mais les dons privés se sont faits plus rares ces dernières années, et il n'y a pas assez de personnel et de ressources pour les gérer, ou s'assurer adéquatement de l'archivage des films.

Au bord du gouffre financier il y a quelques années, la Cinémathèque québécoise a évité de près la catastrophe. Ses employés ont accepté un gel de salaires, en vigueur depuis 2008. Différentes mesures ont été prises afin de réduire les coûts d'exploitation, qui ont malheureusement eu des incidences sur le fonctionnement général de l'institution.

Est-ce que la Cinémathèque peut faire mieux? Sans doute. Elle aurait certainement intérêt à faire davantage la promotion de ses activités. En mettant en valeur ses contenus, en multipliant les cycles consacrés à des auteurs, des genres, des thématiques. En créant des événements, comme le font si bien les Rendez-vous du cinéma québécois dans les murs mêmes de la Cinémathèque, grâce à des propositions de rencontres et des leçons de cinéma alléchantes.

Les temps sont durs pour tous au cinéma. Il faut redoubler d'efforts afin d'intéresser le public. La Cinémathèque est un temple de la cinéphilie. On peut y voir des oeuvres de répertoire, internationales et québécoises, que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Tout est en place pour attirer le public cinéphile. Un bel espace, dans un emplacement idéal, une programmation de qualité...

Tout, sauf les fonds nécessaires pour créer l'étincelle, l'impulsion, le désir qui permettra au public de renouer avec ce musée du septième art et sa collection de films. Tout sauf les fonds requis pour en faire la promotion adéquate. Tout sauf les fonds indispensables à la préservation de ce trésor inestimable et pourtant sous-estimé.

La question n'est pas de savoir s'il est possible de rogner davantage dans les ressources modestes d'une institution déjà grugée jusqu'à la moelle. Mais bien de savoir si, collectivement, nous sommes prêts à apporter notre contribution pour assurer la préservation de notre cinématographie nationale.

Ne pas assurer de la pérennité de la Cinémathèque, c'est non seulement porter atteinte à notre héritage, mais à notre mémoire. Cette mémoire, il faut la chérir, la préserver, la protéger. À tout prix.