Après 30 minutes, je me suis dit: «Ça y est, il est enfin de retour!» Trente minutes pendant lesquelles j'ai cru retrouver la singulière subtilité, la sombre ambiguïté, les tourments de solitude des meilleurs films d'Atom Egoyan.

Le cinéaste canadien a toujours aimé explorer les zones les plus obscures de la nature humaine: l'inceste, le meurtre, le deuil... The Captive, à l'affiche vendredi, n'y fait pas exception. Le film, présenté en compétition officielle au plus récent Festival de Cannes, a pour prémisse l'enlèvement d'un enfant.

Un homme (Ryan Reynolds) s'arrête dans un casse-croûte sur le bord de la route près d'un village pendant que sa fille est assoupie sur la banquette arrière de son camion, au retour d'un entraînement de patinage artistique. Le temps d'acheter une tarte et sa fille de 9 ans a disparu. L'horreur.

S'ajoutent au désarroi du père les soupçons des enquêteurs (Scott Speedman et Rosario Dawson), qui se demandent s'il ne s'agit pas d'un drame familial. Le ton est réaliste, les images sont d'un gris étouffant, et le jeu des acteurs est convaincant. Les questions que pose d'emblée le film sont très intéressantes. Comment un couple survit-il à un tel drame? Comment vit-on avec la perte d'un enfant? Comment gère-t-on une telle colère?

The Captive, fait d'ellipses comme bien des films d'Egoyan, nous présente les parents huit ans plus tard, alors que de nouveaux indices laissent croire que leur fille est toujours vivante. C'est à ce moment que les choses se gâtent et que le film prend un mauvais virage - pendant une risible poursuite en auto notamment. De drame psychologique intimiste, The Captive se transforme en thriller conventionnel, frôlant le ridicule, à l'image de la moustache de Kevin Durand dans le rôle de l'archétypal «méchant».

Atom Egoyan nage volontairement entre deux eaux, entre le réalisme dramatique et la caricature burlesque. Il est d'autant plus difficile, dans les circonstances, d'être touché par le drame que vit ce couple, à qui le deuil est interdit et qui semble sombrer dans les abîmes de la dépression. Dans le registre du parent qui se fait justice lui-même, Prisoners de Denis Villeneuve était autrement plus convaincant et réussi.

Ce n'est pas pour rien que The Captive ne sera pas présenté la semaine prochaine - à la surprise générale - au Festival international du film de Toronto. Même si Atom Egoyan, l'enfant chéri du pays, y est un abonné depuis le début de sa carrière. Une décision du TIFF, ou plutôt celle du cinéaste, qui a peut-être voulu s'éviter un nouvel accueil glacial de la presse internationale comme ce fut le cas au Festival de Cannes? Qui sait.

Plusieurs sont rebutés par la froideur objective, les atmosphères oppressantes et les thématiques tordues des films d'Egoyan. Je suis au contraire, depuis longtemps, un grand admirateur et défenseur de son cinéma.

À l'adolescence, j'ai découvert avec fascination les Next of Kin, Family Viewing et autres The Adjuster de sa première période. Exotica et surtout The Sweet Hereafter, au milieu des années 90, ont fini de me convaincre qu'Atom Egoyan était un grand cinéaste. Malgré la déception que fut pour moi l'ambitieuse fresque qu'est Ararat, j'ai trouvé plusieurs qualités à des films récents et moins marquants de la filmographie du cinéaste d'origine arménienne, tels Where The Truth Lies et Adoration.

Depuis, Egoyan, un homme charmant et brillant, qui a une réelle vision du cinéma, semble malheureusement s'être égaré dans le compromis artistique. Ses plus récents films n'ont guère convaincu la critique. Chloé (2009), peut-être son pire long métrage, est pourtant celui qui a accumulé le plus de recettes aux guichets. Sans aucun doute en raison de son étiquette de «thriller érotique».

Atom Egoyan, connu pour son cinéma cérébral, aurait-il envie de rejoindre un plus large auditoire? Est-ce pour cette raison que The Captive semble au final formaté pour un public adepte de thrillers hollywoodiens? Impossible de ne pas y penser, lorsqu'on se rend compte à quel point le cinéaste s'éloigne depuis quelques années de ce qui a fait la force de ses oeuvres les plus mémorables.

Le constat est d'autant plus cruel, je le répète, que les 30 premières minutes de The Captive, avec ses jeux d'images vidéo, ses mises en abyme et ses ellipses ingénieuses, donnent l'impression qu'Egoyan renoue avec le cinéma de ses «belles années». Celles de la suave et inquiétante trame d'Exotica ou de la douleur lancinante de The Sweet Hereafter.

Où est passé cet Atom Egoyan que je défendais à l'adolescence devant des amis qui trouvaient son cinéma ennuyeux comme une pluie hivernale à Victoria? Qu'est-il advenu de cet artiste hors du commun qui incarne le cinéma canadien à l'étranger, notamment en France, depuis de si nombreuses années?

J'espère qu'il est toujours là. Et qu'à seulement 54 ans, il retrouvera bientôt la forme et l'inspiration de ses beaux jours. Pour nous faire de nouveau espérer de beaux lendemains.