Il y a un moment, au milieu du film, où je me suis exclamé: «Wow!» Ma voisine, une Française, s'est retournée, interloquée. C'était plus fort que moi. Une séquence d'une beauté saisissante, tout en fluidité.

Cinq joueurs qui anticipent les trajectoires des uns et des autres sur la patinoire, avec des passes à l'aveuglette, touchant tous à la rondelle avant le but, devant des adversaires tétanisés. Une chorégraphie magnifique.

La ville était hockey hier. Je parle de Cannes, où était projeté en séance spéciale Red Army, fascinant documentaire de Gabe Polsky, jeune cinéaste de Chicago, fils d'immigrés soviétiques et ancien joueur de centre de l'Université Yale.

Ce film produit par Werner Herzog et Jerry Weintraub s'intéresse à la grande équipe de l'Armée rouge (fondée par Staline) des années 70 et 80, et en particulier au parcours de son capitaine emblématique, Vladislav Slava Fetisov.

De ses débuts à 8 ans avec son mentor Anatoli Tarasov, grand stratège du système de jeu soviétique - qui étudiait autant les grands joueurs d'échecs russes que les danseurs de ballet du Bolchoï -, jusqu'à ses deux victoires en finale de la Coupe Stanley, 30 ans plus tard, avec les Red Wings de Detroit.

Red Army s'attarde à la relation tendue entre Fetisov et son entraîneur Viktor Tikhonov, nommé par le directeur du KGB pour remplacer Tarasov, qui lui avait légué l'une des plus belles équipes de l'histoire du hockey. Celle du duo défensif de Slava Fetisov et Alexei Kasatonov, et du fameux trio «KLM» de Vladimir Krutov, Igor Larionov et Sergei Makarov. Des noms qui, comme celui de Vladislav Tretiak, ont marqué mon enfance.

«On ne peut pas rivaliser avec eux», concède dans le documentaire un jeune Wayne Gretzky, après une défaite de 8 à 1 du Canada contre l'URSS au Forum de Montréal. «Nous avions Gretzky, Lafleur, Gilbert Perreault, et ils nous ont humiliés», se souvient Scotty Bowman, interviewé par Gabe Polsky, qui était derrière le banc à l'époque.

Viktor Tikhonov, rappelle Fetisov, a instauré un régime de terreur dans l'équipe nationale soviétique après la défaite historique de 1980, en finale des Jeux olympiques de Lake Placid, contre les États-Unis. Il isolait les joueurs dans un camp d'entraînement pendant 11 mois, sans accès à leur famille. Il les soumettait à quatre entraînements quotidiens d'une intensité insupportable et les traitait comme des bêtes de cirque (un montage parallèle avec des ours jouant au hockey en patins en fait la démonstration éloquente).

«Des joueurs pissaient du sang», raconte Vladislav Tretiak, aujourd'hui président de la Fédération russe de hockey sur glace, qui a mis fin prématurément à sa carrière. «Ma jeunesse a été gâchée, dit-il. Mes enfants ne me voyaient qu'en photo. À 32 ans, j'étais au bout du rouleau.»

Red Army n'est pas qu'un film sur le hockey. C'est aussi une métaphore de la chute de l'URSS. La guerre idéologique de l'époque - la course à la conquête de l'espace, à l'arme nucléaire - se transposait bien sûr dans le sport.

Les uns brandissaient le succès du jeu collectif de l'équipe soviétique pour faire l'apologie du communisme; les autres interprétaient le fameux Miracle on Ice de 1980 comme la victoire ultime du capitalisme. Dans le film, on voit Herb Brooks, légendaire entraîneur de l'équipe américaine, dire au président de l'époque, Jimmy Carter, que la victoire improbable de Lake Placid prouve que le mode de vie américain «est celui qu'il faut suivre».

Le hockey, c'est la guerre, déclare Gabe Polsky, en montrant Patrick Roy qui quitte son filet de l'Avalanche pour aller se battre avec un joueur des Red Wings. Le hockey était aussi à l'époque l'un des instruments de l'impressionnante machine propagandiste soviétique. Une machine qui fabriquait des champions tout en les broyant.

Slava Fetisov, à qui l'on avait promis d'être le premier joueur soviétique autorisé à jouer dans la LNH dans la foulée de la glasnost et de la perestroïka, a déclaré forfait lorsque Tikhonov lui a de nouveau mis les bâtons dans les roues. Il a quitté avec fracas l'équipe nationale, et a aussitôt été mis au ban. Personne ne l'autorisait à s'entraîner nulle part, sous peine d'être puni par le régime. Sa famille a été placée sous surveillance par le KGB et il a été tabassé par la police.

Déjà profondément meurtri par la mort de son jeune frère dans un accident de voiture - alors que Fetisov était au volant -, le plus grand défenseur de l'histoire du hockey russe est passé de héros national à traître à la nation. Un déserteur. Les choses ne se sont pas améliorées avec son départ pour la LNH, qu'il a obtenu à l'arraché, en se faisant démobiliser de l'Armée rouge.

«Je ne les veux pas ici, les joueurs ne les veulent pas ici, et vous allez regretter qu'ils soient ici!», a dit Don Cherry à l'arrivée de la première vague de joueurs soviétiques, autorisée par le régime pour empêcher les fuites à l'Ouest (comme celle d'Alexander Mogilny). L'adaptation de plusieurs a été difficile. «On nous détestait!», se rappelle Fetisov. «Ça n'a pas marché pour moi à Vancouver», dit Vladimir Krutov, les larmes aux yeux, dans une entrevue réalisée un mois seulement avant sa mort.

Neuf fois champion du monde, double médaillé d'or olympique, Slava Fetisov a été nommé ministre des Sports de la Russie en 2002 par Vladimir Poutine. Il a été l'un des fers de lance de la candidature de Sotchi aux Jeux olympiques d'hiver de 2014 et est aujourd'hui membre de la Chambre haute de l'Assemblée de la Fédération russe.

C'est peut-être ce qui explique cette arrogance, qui transpire parfois à l'écran. Fetisov n'est pas toujours présenté sous son meilleur jour dans ce film inspirant, sans complaisance, truffé de fabuleuses images d'archives, qui nous rappelle que le hockey n'est pas qu'un sport. C'est parfois un grand art.