Le visage de Marcello Mastroianni s'affiche en format géant sur la façade du Palais des Festivals, ses yeux noirs nous fixant par-dessus ses verres fumés. Cliché iconique tiré de Huit et demi, chef-d'oeuvre de Fellini, qui sera projeté en plein air demain soir.

Le grand écran du Cinéma de la plage a déjà été installé. Autour, des ouvriers s'affairaient hier aux derniers préparatifs des bacchanales prévues pour la prochaine quinzaine, sous les nombreux chapiteaux à l'usage exclusif des VIP et autres happy few conviés aux soirées «hype» (comme on dit «in France»).

On est bien au Festival de Cannes, 67e du nom, qui prend son envol aujourd'hui avec la présentation de Grace de Monaco du Français Olivier Dahan (La vie en rose, sur Édith Piaf).

Mettant en vedette Nicole Kidman dans le rôle de la célèbre actrice devenue princesse, ce film tout désigné pour l'ouverture, qui traite de tensions entre la France et la Principauté au début des années 60, suscite déjà la polémique.

Le film a été renié par la famille du prince Rainier (s'cusez-la), qui n'a pas encore vu le film, mais a regretté dans un communiqué que la princesse fasse «l'objet d'un détournement à des fins purement commerciales». Olivier Dahan s'est dit à son tour insulté par ces accusations en début de semaine. Bref, on ne risque pas de retrouver tout ce beau monde au même party glamour au Cap d'Antibes ce soir...

Olivier Dahan n'est pas au bout de ses peines. Il a aussi maille à partir avec l'influent distributeur américain Harvey Weinstein. Le nabab hollywoodien, insatisfait du montage initial du film, menaçait jusqu'à tout récemment de ne pas le diffuser en Amérique du Nord, où sa sortie, d'abord repoussée, n'a toujours pas été confirmée.

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Sous le regard inquisiteur de Marcello, les badauds faisaient le pied de grue hier matin devant les marches blanches du Palais (le fameux tapis rouge cannois ne sera posé que cet après-midi, et changé deux ou trois fois par jour pendant la durée du Festival). Leurs escabeaux cadenassés à des barrières - pour ne pas perdre leur place -, ils attendent Nicole Kidman, annoncée ce soir tout comme les membres du jury présidé par Jane Campion, dont Carole Bouquet, Gael Garcia Bernal, Willem Dafoe et Sofia Coppola.

Ces irréductibles viennent de tous les coins de la France dans l'espoir d'apercevoir un visage connu et d'ajouter une griffe à leur tableau. Certains y consacrent une partie de leurs vacances (la population de Cannes triple pendant la durée du Festival, passant de quelque 70 000 à 200 000 habitants). Je les retrouve au même endroit depuis ma première visite au Festival, il y a 14 ans, avec une fascination aussi grande que celle qu'ils vouent à leurs idoles...

Le Festival de Cannes est le plus important événement du genre au monde, le gotha du septième art et la Mecque des cinéphiles. Mais c'est aussi l'occasion pour certains de voir des vedettes «en vrai» et le prétexte pour d'autres - ceux qui ne se doutent pas que La Dolce vita est un film - de faire le party. À Cannes, on accueille les rats de cinémathèque le jour, les chasseurs d'autographes le soir et les douchebags (pensez candidat d'Occupation double) la nuit, pour un savant mélange unique au monde.

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Il est de toutes les listes de «cinéastes à surveiller» à Cannes ces jours-ci. Autant dans la presse française qu'américaine ou britannique. Xavier Dolan représente à lui seul le sang neuf qui, selon certains observateurs, fait défaut à une nouvelle édition de la compétition faisant la part belle aux habitués. Treize des dix-neuf cinéastes de la compétition y ont déjà sévi (dont les frères Dardenne, David Cronenberg, Mike Leigh et Ken Loach).

Près de 60 ans séparent Xavier Dolan du légendaire doyen de la compétition, Jean-Luc Godard (83 ans). Le cadet de la sélection officielle est seulement le deuxième Québécois (l'autre étant Denys Arcand avec Les invasions barbares) à se retrouver en compétition à Cannes depuis Jean-Claude Lauzon en 1992. Léolo, dans sa version remastérisée par l'équipe du projet Éléphant, fera d'ailleurs l'objet d'une présentation spéciale, demain, dans le cadre de la série «Cannes Classics».

Dolan a-t-il des chances de remporter la Palme? me demande-t-on depuis la sélection de Mommy, il y a presque un mois. Ni plus ni moins que les autres, serais-je tenté de répondre. Disons que le nombre restreint de films en compétition cette année est à l'avantage de tous: une chance sur 18 (plutôt que 20, voire 23, les années précédentes) de remporter le gros lot.

Ce qui pourrait jouer en sa faveur, à mon sens, est le fait que Mommy sera projeté en fin de Festival (jeudi prochain) et donc frais à la mémoire des jurés, qui rendront leur verdict deux jours plus tard, le samedi 24 mai. À condition, bien sûr, que le film soit réussi...

Trois films canadiens concourront au cours des 12 prochains jours pour la Palme d'or, qui n'a jamais été décernée à un cinéaste canadien. The Captive d'Atom Egoyan, Grand Prix du jury pour The Sweet Hereafter en 1997, Maps to the Stars de David Cronenberg, l'un des grands favoris, et Mommy de Xavier Dolan, dont c'est le baptême en compétition. «Depuis le temps qu'il en rêvait...», écrit-on dans le dernier numéro du magazine Première. En oubliant peut-être qu'il n'a que 25 ans.

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