La carrière de Denys Arcand est faite de réussites éclatantes et d'échecs retentissants. Il n'en est pas dupe. Le cinéaste de 72 ans a vu neiger depuis le temps.

«J'ai connu de longues périodes creuses entre de brefs moments de célébrité. J'ai été hot et j'ai été cold au moins cinq fois dans ma carrière déjà», disait-il, lucide, en conférence de presse au Festival de Cannes, après que Stardom y eut été reçu froidement en 2000.

Il a eu le temps d'être de nouveau hot et cold depuis, comme jamais il ne l'avait été auparavant. Denys Arcand a connu des moments de grâce à Cannes. Le déclin de l'empire américain y a lancé sa carrière internationale, remportant le prix de la critique à la Quinzaine des réalisateurs en 1986. Jésus de Montréal, sélectionné en compétition, y a obtenu le Prix du jury en 1989.

Les invasions barbares, pressenti par plusieurs festivaliers pour la Palme d'or, a reçu le prix du scénario et valu un prix d'interprétation à Marie-Josée Croze, en 2003. La suite du Déclin a en quelque sorte marqué la résurrection d'Arcand, que l'on n'avait pas connu aussi inspiré depuis les années 80.

Plusieurs croyaient qu'il avait perdu la main après le décevant Love and Human Remains, Joyeux Calvaire, un modeste téléfilm, et Stardom, bancal et caricatural, sifflé à Cannes, où il avait été présenté en clôture. Mais Denys Arcand a été reçu avec des fleurs sur la Croisette avec Les invasions barbares avant de faire chou blanc avec L'âge des ténèbres, en 2007. De chaud à froid à chaud à froid...

Denys Arcand n'aura pas à subir le jugement instantané et parfois cruel des festivaliers cannois, dans la prochaine quinzaine. Son nouveau long métrage, Le règne de la beauté, à l'affiche jeudi, n'a pas été sélectionné au Festival de Cannes, où il faisait pourtant figure «d'habitué» depuis plusieurs années. On ne s'en étonne pas outre mesure. Lui non plus, sans doute.

«Je fais les films que je peux, pas les films que je veux», répète le cinéaste depuis des années. Le règne de la beauté ressemble à un film de compromis. Contemplatif à souhait, esthétisant à l'excès, c'est un film désincarné, empreint de la même froideur clinique que Love and Human Remains (qui est celle de bien des films d'Atom Egoyan).

On y reconnaît l'inclination d'Arcand pour les magnifiques plans de paysages bucoliques - les cartes postales de Charlevoix et de Québec sont nombreuses - , mais à la poésie un peu statique des images se greffe un scénario laborieux et peu inspiré, autour de l'infidélité d'un architecte en voyage d'affaires à Toronto (qui semble plus ennuyeuse que jamais).

Comme dans Stardom et L'âge des ténèbres, Arcand enfile les lieux communs sur la société actuelle, mais sans point de vue particulier ni l'acuité du regard du Déclin ou des Invasions barbares. Son récit vaguement autobiographique s'intéresse à une génération qu'Arcand ne connaît manifestement pas bien.

Les conversations, les aspirations, les préoccupations des trentenaires qu'il met en scène semblent avoir été empruntées à une autre génération (la sienne). À une époque où existait toujours l'expression «Canadien français de service» et où tous chantaient, sans exception, dans la chorale de l'église du village.

Le règne de la beauté est une oeuvre hors du temps, sans éclat, sans souffle, sans étincelle, sans vie. Arcand traite de la passion amoureuse, pourtant on ne croit pas une seconde à l'idylle entre Luc (Éric Bruneau) et Lindsay (Melanie Merkosky). Ni du reste à ce qui anime le couple formé par Luc et Stéphanie (Mélanie Thierry), jeune femme dépressive qui nous entraîne dans sa léthargie.

Le sexe filmé platement par Arcand, moins présent que ne le laissaient croire la bande-annonce et l'affiche du film, semble tout droit sorti d'un roman Harlequin: lisse, joliment chorégraphié, sans la moindre fougue ou spontanéité. C'est une vision esthétisée de l'amour, distanciée, comme le reste de ce film qui se contente de «faire beau» sans se soucier de sonner vrai.

Les personnages du Règne de la beauté, de jeunes «bobos» qui rappellent inévitablement ceux du Déclin avec leurs repas collectifs et leurs tirades verbeuses, qui sonnent faux, n'ont pas de profondeur. Ils ne dégagent aucune humanité, n'émeuvent pas, et donnent l'impression d'être des figurants dans un film qui se déroule malgré eux.

Arcand, qui nous a habitués à son regard souvent caustique sur la société - pour le meilleur et parfois le pire - s'abstient de tout propos. On devine une critique tiède et convenue du snobisme petit-bourgeois, mais elle n'est ni saisissante ni originale.

On ne retient pas grand-chose, pour tout dire, de cette tranche de vie d'un couple à la dérive et des aventures qui se profilent en périphérie. Le règne de la beauté, sans grande substance, tourne rapidement à vide, et se conclut de manière abrupte et maladroite.

Autant j'ai été bouleversé par Les invasions barbares, autant j'ai été irrité par L'âge des ténèbres, autant le nouveau film d'Arcand m'a laissé indifférent. Avec une impression d'inachevé. Un film orphelin de scénario, comme un coup d'épée dans l'eau, aussitôt oublié.

Une parenthèse, qui nous fait espérer que Denys Arcand fasse un autre film - il a laissé entendre que celui-ci serait son dernier - et s'offre un chant du cygne à la hauteur de son talent. Pour ne pas finir dans le tiède.