Véronique souffre d'anorexie. Une fille brillante, allumée, éloquente. Elle est restée hospitalisée pendant des mois pour soigner son trouble alimentaire. Des journées passées seule, à écrire, du matin au soir, sans s'arrêter. À noircir des dizaines de cahiers de notes sombres, évoquant sa peur, son impuissance, son désespoir.

Aujourd'hui, Véronique, la jeune vingtaine, parle avec beaucoup de lucidité de sa maladie. Et des moyens qu'elle a adoptés pour y faire face. Elle a écrit, beaucoup, longtemps. Désormais, elle danse, pour se libérer l'esprit. Et elle peint, projetant de la peinture sur une toile, à la manière de Jackson Pollock. Pour lâcher prise.

Ses tableaux ne feront sans doute pas l'objet d'une exposition dans un musée ou une galerie. Elle ne dansera pas sur scène dans une chorégraphie de Marie Chouinard. Qu'importe. Elle a trouvé dans l'art un moyen de se libérer de certains jougs, d'apaiser ses craintes et des angoisses, de se rassurer. Une façon de se faire du bien.

L'art fait du bien. C'est le titre d'un documentaire présenté cette semaine au Festival international du film sur l'art. Le film du producteur, réalisateur et compositeur Jean-Sébastien Ouellet (Cabine C, Créer à ARTV) sera projeté aujourd'hui au FIFA, avant d'être diffusé sur Télé-Québec l'automne prochain.

Le témoignage poignant de Véronique s'y retrouve, en compagnie de ceux de différents intervenants du monde culturel: artistes, experts ou simples citoyens, pour qui les bienfaits de l'art ne font plus aucun doute (contrairement à certains dirigeants de partis politiques).

L'auteur et rappeur Biz, de Loco Locass, évoque sa récente dépression et rappelle comment l'écriture d'un premier roman lui a «sauvé la vie». La cinéaste Louise Archambault explique à quel point elle a été transformée par son expérience de tournage du long métrage Gabrielle, au contact de jeunes acteurs souffrant de handicaps. L'auteur et peintre Marc Séguin insiste sur le fait que l'art est pour lui un exutoire vital, l'occasion d'une prise de parole nécessaire.

La caméra de Jean-Sébastien Ouellet suit dans leur quotidien des gens comme France, atteinte de trisomie 21, qui participe à des ateliers d'arts plastiques, Gilles, qui travaille auprès d'itinérants et de personnes démunies, ou Dany, un ancien délinquant ballotté de foyers en maisons d'accueil, qui semble avoir trouvé un équilibre, voire un salut, dans l'art.

Le piège

Jean-Sébastien Ouellet, lui-même pianiste dans ses temps libres (il a composé la trame musicale de son film), nous présente Hugues, un ancien architecte atteint de la maladie d'Alzheimer, qui fait du dessin en compagnie d'une thérapeute, grâce à un organisme venant en aide à des gens en perte d'autonomie. Il y trouve une manière de s'exprimer librement, sans avoir à se souvenir des noms de ses petits-enfants, son crayon sait mieux décrire que des mots qui s'échappent et s'évanouissent.

Le réalisateur est conscient de son parti pris fleur bleue, affiché clairement dans le titre même de son documentaire. Mais il a voulu éviter le piège du misérabilisme, dit-il, en intégrant à son film une famille typique de banlieue, les Boivin, soudée dans ses activités artistiques, ou encore la jeune Sophia, 12 ans, née au Zimbabwe d'un père belge et d'une mère hondurienne, arrivée à Montréal il y a six ans avec un appétit insatiable pour l'art pictural et la sculpture.

«J'ai voulu m'attarder au bonheur, pas au malheur lié à l'art, dit Jean-Sébastien Ouellet. Mon film ne règle pas le sort de l'univers; ce n'est pas une enquête sur l'impact de l'art en 13 épisodes. Mais c'est un document qui, je crois, touche les gens et les fait réfléchir. Un polaroïd de la place que l'art peut prendre dans la vie des gens. De ses bienfaits, autant dans la pratique que dans la contemplation. Comme un yin et un yang.»

Sa démonstration de cet impact favorable est particulièrement convaincante.

D'une initiative du Musée des beaux-arts de Montréal, qui avait à l'origine commandé au réalisateur, un ancien publicitaire, une vidéo d'entreprise, est né ce documentaire riche et foisonnant. Si dense, en fait, qu'on a parfois l'impression qu'il s'éparpille. On en aurait bien pris une série complète, autour de certains personnages forts, que l'on n'a pu suivre plus longtemps, faute de temps.

Le tournage de L'art fait du bien s'est terminé à la mi-décembre, après une préparation d'assez courte durée. Une contrainte, dit le réalisateur, l'a obligé à aller dans la concision, à l'essence de son propos.

«Je ne voulais pas faire un film sur l'art thérapeutique, même s'il en question. L'art-thérapie est une démarche en soi, assez complexe. Le film offre un regard de vulgarisateur sur l'impact de l'art, sous différentes formes. L'art n'a pas besoin d'être bon ou beau pour faire du bien. Qu'il se retrouve éventuellement sur les murs ou dans un tiroir, son impact est le même.»

Véronique continue de peindre et de danser, plus sereine qu'autrefois. Hugues, lui, a oublié d'autres mots depuis le tournage du film, enfermé progressivement dans la prison de sa maladie. L'art reste pour eux, et pour bien d'autres, une lueur d'espoir.