Ce n'était pas un mauvais flash. Inviter des acteurs hollywoodiens à témoigner du savoir-faire et du talent des cinéastes québécois, en cette année où Jean-Marc Vallée et Denis Villeneuve ont percé le marché américain avec leurs films respectifs.

Dimanche, dans le cadre de la Soirée des Jutra, on a diffusé des vignettes, tournées avec les moyens du bord, mettant en vedette Jake Gyllenhaal, Vince Vaughn, Hugh Jackman, Dustin Hoffman ou encore Vanessa Paradis.

Mal éclairés, mal cadrés, mal coiffés, les comédiens avaient l'air d'avoir été captés sur le vif par des vidéastes amateurs pendant leurs vacances (ou à leur sortie de prison pour certains!), sous promesse de diffusion confidentielle de leur témoignage dans une fête privée, un «bien cuit» familial ou un carnaval étudiant.

Le bon flash s'est non seulement étiré indûment, mais il a mis en lumière ce besoin très québécois de se faire dire, préférablement par des étrangers et particulièrement par des Américains ou des Français, à quel point on est beaux, bons et gentils.

Certains nomment ce trait culturel le complexe du colonisé. Je ne suis pas psychologue. Ce qui m'a semblé clair, en revanche, pendant la Soirée des Jutra, est cette volonté de pimper - j'emprunte le terme à l'animatrice Pénélope McQuade - le gala avec des vedettes internationales et locales (du moment qu'elles se qualifient dûment comme telles).

Aparté: j'ai apprécié moi aussi l'autodérision des animateurs. Mais que les deux personnes chargées depuis des mois d'animer le gala des Jutra se targuent, piles de DVD à l'appui, d'avoir à rattraper quantité de films qu'elles n'ont pas vus en salle, en dit long à mon sens sur le manque d'intérêt pour notre cinéma.

«Ça s'appelle le cinéma québécois; ça s'appelle pas le DVD québécois», a déclaré dans la foulée le comédien Guillaume Cyr, en acceptant le Jutra du meilleur acteur de soutien. Il n'aurait su mieux dire. Fin de l'aparté.

Cette tentative non dissimulée de racoler le public avec des vedettes a pris plusieurs formes pendant le gala des Jutra. Au moins trois fois, une voix hors champ a prévenu les téléspectateurs de l'arrivée imminente de Patrick Huard en ondes.

«Après la pause, Patrick Huard!» Traduction libre: restez à l'écoute, bientôt dans votre petit écran, un comédien et acteur que vous connaissez et que vous avez peut-être même déjà vu dans un film!

L'interprète original de Starbuck (supérieur dans le rôle à Vince Vaughn) est monté sur scène exactement une heure et demie après le début du gala, pour rendre hommage à Micheline Lanctôt. C'est-à-dire plus ou moins cinq ou six plages publicitaires après avoir été annoncé en grande pompe «au retour de la pause»...

On comprend bien sûr les producteurs et le diffuseur du gala des Jutra de tout tenter afin de retenir le plus longtemps possible les téléspectateurs à l'antenne d'une émission traditionnellement ennuyeuse comme la pluie. Surtout qu'à la chaîne concurrente, Sheryl Crow chantait avec les jeunes académiciens... pardon, les candidats de La voix.

Imaginez donc! Sheryl Crow! Une chanteuse américaine qui nous fait la grâce de sa présence, ici même au Québec, et qui chante en plus! Sheryl Crow, qui a vendu 10 millions d'exemplaires de son premier album il y a 20 ans (et 65 000 exemplaires de son dernier disque, l'an dernier)! Sheryl Crow, mesdames et messieurs...

Comme il fallait s'y attendre, au chapitre de la cote d'écoute, le rouleau compresseur de TVA n'a fait qu'une bouchée de notre gala du cinéma. Et l'équipe des Jutra n'a pas trouvé mieux, au rayon des variétés, que de traduire une chanson de l'Américain Bruno Mars dans un numéro malheureux évoquant à la fois le cirque, le rigodon et la pub de char. Aucune chanson de Louis-Jean Cormier, juge de voix de son état, n'était disponible?

Il aurait peut-être été de circonstance de proposer un numéro sur la chanson Fancy Ghetto d'Alexandre Désilets, tirée de l'album du même nom, le plus entraînant de ce début d'année au Québec. «Je ne suis pas assez beau pour que tu m'aimes», chante Désilets. Une question que semble se poser le cinéma québécois ces temps-ci.

Permettez que j'ironise un peu. Quand Sheryl Crow prend la peine de chanter en direct à notre télé, que Vince Vaughn (tout frais sorti du lit?) accepte de nous dire que nos cinéastes sont formidables et que Jake Gyllenhaal, en direct de son chalet, imitant Grizzly Adams, nous rappelle que nous avons la chance de compter sur des artistes de talent, je crois que nous pouvons être fiers d'être Québécois.

Et qu'importe si ceux dont ils parlent, sauf erreur, ne sont pas présents dans la salle pour accepter leurs compliments.

Si ces vedettes, connues aux États-Unis, en Europe, voire dans le sous-continent indien le disent, c'est que ce doit être vrai. Non, je ne dénigre pas cette marque sincère - j'en suis convaincu - d'affection. Je souligne seulement que chercher l'aval de son prochain est une maladie universelle qui n'a pas épargné le Québec.

L'imprimatur, surtout français et américain, a gardé chez nous toute son importance, malgré des décennies de tentative d'émancipation culturelle et une jeune génération beaucoup plus décomplexée que celles qui l'ont précédée.

Les auteurs de l'émission Série noire l'illustraient de manière aussi brillante que cruelle en ouverture d'un épisode il y a quelques semaines.

Une chroniqueuse culturelle de Radio-Canada s'extasiait devant une actrice qui lui annonçait sa participation au tournage montréalais d'un film américain de série B destiné au marché du DVD. Un navet attendu mettant en vedette Dolph Lundgren, le méchant russe de Rocky IV. Tout un exploit...