Le nom de Monique Simard se trouvait, le 6 décembre 1989, dans une lettre retrouvée par les policiers dans la poche de chemise de Marc Lépine. Le sien, et celui de 18 autres femmes, personnalités publiques, policières, que le tireur misogyne de Polytechnique projetait de tuer.

«Ils ont retrouvé la liste sur son cadavre, dit-elle. Ce n'est jamais plaisant d'être la cible de menaces, mais d'autres femmes visées et ma famille ont été plus ébranlées que moi. Marcel, mon mari, en a été très bouleversé; il a été touché en plein coeur.»

Monique Simard était à l'époque un symbole. Une pionnière dans un mouvement syndical dirigé par des hommes, une féministe toujours prête à monter au créneau, qui s'était battue notamment pour l'égalité salariale et l'obtention de congés de maternité.

«J'étais très médiatisée, on me voyait souvent dans les bulletins de nouvelles, j'étais aussi très combative. On se bagarrait, mais on gagnait souvent. C'était très gratifiant. On était un peu sur un nuage. Polytechnique nous a frappés de plein fouet», dit l'ancienne vice-présidente de la CSN, qui s'est déplacée quelque temps avec un garde du corps, après avoir reçu d'autres menaces.

Elle était un symbole. Elle l'est toujours. Début décembre, 24 ans après les événements de Poly, Monique Simard a été nommée présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). Elle est la première femme à occuper ce poste stratégique et prestigieux depuis sa création en 1995.

«Je m'étonne, oui, qu'il n'y en ait pas eu avant», dit-elle. L'ancienne syndicaliste, animatrice de radio (CJMS), de télé (Télé-Québec) et productrice de documentaires, dirigeait depuis 2008 le Programme français de l'Office national du film (ONF), auquel elle a insufflé un vent de modernité, en prenant le virage numérique. Elle souhaite faire la même chose avec la SODEC. «Je réalise aujourd'hui à quel point c'est un poste important, dans une institution importante, où l'on peut avoir une réelle incidence sur la culture.»

Dans son grand bureau de la rue Saint-Jacques, qu'elle a investi début janvier, les dossiers s'empilent déjà, pêle-mêle. Monique Simard peut être un ouragan. C'est une battante, disent ceux qui la connaissent. Une femme de tête ambitieuse, au tempérament bouillant, reconnue pour son sens critique et son franc-parler, qui n'a pas peur d'aller au front et de se colleter aux «boys clubs».

«Travailler autour d'elle, c'est vivant, dynamique, pas du domaine du reposant et c'est tant mieux!», dit une ancienne collaboratrice, qui la décrit comme une femme inspirante, chaleureuse, proche des gens qu'elle côtoie.

Elle ne fait pas pour autant l'unanimité. Elle livre plus volontiers le fond de sa pensée que son prédécesseur à la SODEC, François Macerola, et risque de froisser quelques susceptibilités. Alors que Macerola était considéré comme un allié de l'industrie, Monique Simard est davantage perçue comme une alliée des artistes. Son film québécois préféré de 2013? Le météore de François Delisle, l'une des propositions les plus radicales de l'année...

Elle souhaite brasser les cartes à la SODEC, notamment en ce qui concerne l'aide au cinéma, qui compte pour 60% des 63 millions en subventions accordées annuellement par l'organisme. Elle donnera suite, dit-elle, au rapport sur le cinéma présidé par François Macerola, qui «n'aboutira pas sur une tablette».

Elle veut s'assurer d'une plus grande aide au scénario, avec l'embauche de script doctors, afin que les films soient non seulement meilleurs, mais attirent aussi plus de gens dans les salles. Et espère voir les parts de marché du cinéma québécois doubler de 5,6 à 11%.

La société d'État, rappelle-t-elle, n'est «pas un guichet automatique» pour une poignée de producteurs. Et ce n'est parce qu'un artiste (acteur, réalisateur, scénariste) a du succès à la télévision qu'il en aura nécessairement au cinéma. «Ce sont deux formes d'art différentes», dit Monique Simard, avec qui j'ai commenté la télévision pendant près d'une saison à l'émission C'est juste de la TV, à ARTV (elle y avait remplacé au pied levé Lise Payette avant d'être elle-même remplacée par Liza Frulla).

«Sauvée» par le cinéma

À 18 ans, Monique Simard participe au documentaire Wow de Claude Jutra (où on la voit brièvement, seins nus, sautant sur un trampoline). En compagnie du cinéaste à Washington, à l'été 1968, elle assiste à des manifestations du mouvement des droits civiques américains. Le voyage a un impact déterminant sur son engagement syndical et politique.

En 1971, elle a un petit rôle dans Le retour de l'Immaculée Conception d'André Forcier. «Je n'avais pas d'ambition de devenir actrice, précise-t-elle. Je suis allée à l'université (en sciences politiques à l'UQAM). Forcier, Jutra, c'étaient des amis. J'ai été en couple toute ma vie avec un cinéaste. Le cinéma a toujours été proche de moi.»

C'est aussi le cinéma, dit-elle, qui l'a «sauvée». En 1994, après avoir quitté la CSN et fait une brève carrière dans les médias, Monique Simard est candidate pour le Parti québécois dans la circonscription de Bertrand. Elle perd de justesse, en mettant en question les méthodes de son rival libéral. Elle devient directrice générale et vice-présidente du PQ avant d'être élue à l'occasion de partielles dans La Prairie en 1996.

Sa carrière de députée est de courte durée. Scrutée à la loupe par le PLQ, elle doit démissionner après avoir été reconnue coupable d'avoir voté illégalement aux élections municipales d'Outremont, où elle habite depuis 20 ans. Ayant omis de déclarer avoir «élu domicile» à son chalet de Sainte-Adèle en prévision des élections de 1994.

Elle jure ne pas avoir été sollicitée directement par le Parti québécois pour le poste de présidente de la SODEC, «coloré» politiquement (François Macerola, nommé par le gouvernement Charest, est un ancien président du Parti libéral). «Tout le monde connaît mes allégeances politiques. J'ai observé le plus rigoureux devoir de réserve», assure-t-elle.

Elle cultive depuis toujours de nombreux réseaux. Indépendantiste de gauche, elle a siégé à de nombreux conseils d'administration et a des alliés de toutes allégeances, ici comme à l'étranger (elle a été proche de Lula Da Silva, l'ancien président brésilien). «L'avantage qu'elle a sur tous ses prédécesseurs à la SODEC, c'est qu'elle a été productrice et qu'elle connaît les faiblesses du système», dit une ancienne adversaire politique.

Son passage éclair en politique demeure «une grande blessure», dit-elle. «Je me suis sentie abandonnée, trahie, dit-elle. Quand on subit publiquement l'humiliation, il n'y a plus grand monde qui nous parle. C'est une leçon de vie que l'on n'oublie pas. Ç'a m'a rendue à la fois plus forte et plus sensible.»

C'est son mari, le regretté cinéaste et producteur Marcel Simard, qui lui a permis de panser ses plaies en l'invitant à se joindre à lui dans la production de documentaires. Son premier projet chez Virage, Des marelles et des petites filles de Marquise Lepage, l'a amenée à voyager plusieurs mois dans des régions où l'égalité de la femme est loin d'être acquise. «J'ai oublié aussitôt mes soucis. Ce fut une thérapie de choc.»

Elle a produit une trentaine de films et de séries avant d'accepter un poste à l'ONF en 2008. Deux ans plus tard, Marcel Simard, aux prises avec des problèmes financiers, a mis fin à ses jours. Elle évoque volontiers l'homme qu'il était, très apprécié dans le milieu du cinéma, mais refuse de parler publiquement du décès de son mari.

Son regard pétille lorsqu'elle parle de tout ce qu'il y a à accomplir à la SODEC. On sent chez elle une envie de laisser sa marque. Elle maîtrise déjà un certain nombre de dossiers, met les bouchées doubles en ce qui concerne les autres, n'hésite pas à se faire conseiller. Forte de toutes ses expériences. «J'ai 64 ans, dit-elle, et je me sens pleine d'énergie». Cela saute aux yeux.