Il n'y a pas que des chartes pour éveiller les consciences à la lutte pour l'égalité hommes-femmes. Quatre cinémas suédois ont annoncé récemment la création d'une «cote» visant à encourager une meilleure représentation de la femme au grand écran.

Après l'érotisme, la violence et le langage vulgaire, le sexisme fait désormais l'objet d'une classification particulière dans ces salles de cinéma. L'initiative, à laquelle souscrit également une chaîne câblée, a été saluée par l'Institut suédois du film, organisme national chargé de la promotion du cinéma.

Afin d'obtenir une cote A, un film devra satisfaire aux exigences du «test de Bechdel», imaginé en 1985 par la dessinatrice américaine Alison Bechdel dans sa bande dessinée Dykes to Watch Out For (Lesbiennes à suivre). Le test comporte trois critères: pour obtenir une cote A, un film doit avoir au moins deux personnages féminins, ayant une conversation soutenue, sur un autre sujet qu'un homme. Rien que ça.

Selon l'une des instigatrices du mouvement, la directrice du cinéma Bio Rio à Stockholm Elen Tejle, la trilogie du Seigneur des anneaux, la série complète de La guerre des étoiles, The Social Network de David Fincher, Pulp Fiction de Tarantino et tous les films de Harry Potter, à l'exception d'un seul, échouent au test de Bechdel.

«L'objectif est de présenter davantage d'histoires et de perspectives féminines sur les écrans de cinéma», a-t-elle expliqué cette semaine à l'Associated Press. Elen Tejle regrette qu'il n'y ait pas plus fréquemment au cinéma «une superhéroïne, une professeure ou une femme qui relève des défis excitants».

Des statistiques récentes confirment ses impressions. Selon une étude réalisée par des chercheurs de l'University of Southern California, les femmes comptaient en 2012 pour moins du tiers des personnages des longs métrages les plus populaires diffusés aux États-Unis. Des 100 films les plus performants au box-office nord-américain l'an dernier, 28% seulement mettaient en scène des personnages féminins dans des rôles «parlants», comparativement à 32% cinq ans plus tôt.

Une infime proportion (6%) de ces films affichait une parité hommes-femmes dans la distribution des rôles; les femmes comptant pour à peine 11% des personnages principaux (et le tiers d'entre elles dans des rôles à forte «connotation sexuelle»).

Le problème de la sous-représentation de la femme au cinéma n'est bien sûr pas exclusif aux États-Unis (ni à la Suède). «Il est extrêmement important de se demander si des réflexes ou des habitudes, plus ou moins inconsciemment à l'oeuvre, ne conduisent pas à creuser les inégalités», a déclaré en mai la ministre des Droits des femmes française, Najat Vallaud-Belkacem, en commandant au Centre national du cinéma une enquête sur la place des femmes au grand écran.

La situation au Québec

Au Québec, le printemps dernier, une recherche dirigée par l'auteure et sociologue Anna Lupien pour l'organisme Réalisatrices équitables a conclu que les images stéréotypées de la femme sont toujours très présentes dans le cinéma québécois.

En étudiant 900 rôles de films réalisés en 2010 et en 2011 - pour la grande majorité par des hommes -, les chercheurs ont déterminé que les réalisateurs accordaient 72% des premiers rôles à des hommes, que les personnages féminins avaient généralement peu d'ambition professionnelle et étaient beaucoup plus «sexualisés» que les personnages masculins.

Dans ces films, 8% des personnages féminins étaient des danseuses nues ou des prostituées, à l'instar de celui interprété par Laurence Leboeuf dans Lac Mystère d'Érik Canuel, à l'affiche plus tôt cette année. Il y a des traditions qui ne se perdent pas.

Aux États-Unis, les personnages féminins sont quatre fois plus susceptibles d'être dépeints de manière sexy que des personnages masculins, et beaucoup plus souvent valorisés pour leur seule apparence, selon le Geena Davis Institute on Gender in Media, fondé en 2004 par l'actrice de Thelma and Louise.

Les femmes sont aussi largement sous-représentées derrière la caméra, ici comme aux États-Unis, où seulement 7% des réalisateurs, 13% des scénaristes et 20% des producteurs sont des femmes (toujours selon le Geena Davis Institute). Le ratio à Hollywood est de cinq hommes pour une femme, dans ces métiers. Le plafond de verre est intact.

Tout ça pour rappeler une évidence: le combat pour l'égalité des sexes est loin d'être gagné, au cinéma comme ailleurs. N'en déplaise à ceux qui clament ces jours-ci, en adoptant une position victimaire qui fait autant rire que soupirer, que l'homme - que certains décrivent comme «obsolète» - est ostracisé, écrasé et discriminé dans nos sociétés matriarcales. Ah bon? Vraiment?

Certaines évolutions sociales, malheureusement, sont lentes. Et exigent des actions originales pour mettre certaines inégalités en lumière. C'est l'essence de cette cote A suédoise, qui ne garantit évidemment pas l'accès à des films de meilleure qualité. Et qui, si elle était appliquée de manière restrictive, en interdisant la diffusion de certains films sur la base d'un déséquilibre entre les genres dans la distribution des rôles, écarterait nombre de chefs-d'oeuvre du septième art, pour des motifs qui ont peu à voir avec l'art.

Il est vrai que, dans une oeuvre de fiction, un scénariste ou un cinéaste fait très souvent écho à sa réalité, et que cette réalité est pour la plupart du temps «masculine». Ce n'est pas une raison pour ne pas encourager les artistes, et leur public, à voir les choses autrement.

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