C'est un film qui m'a ému comme peu de films québécois. Et ce qui m'a le plus ému dans Gabrielle, à ma grande surprise, c'est sa musique. J'ai été pris de la même émotion, vive, envahissante, irrésistible, chaque fois qu'une chanson de Robert Charlebois a été entonnée par la chorale de l'école Les Muses.

Je n'ai pourtant pas de rapport particulier à la musique de Charlebois. Elle n'est pas de ma génération, ne me rappelle aucun souvenir intime. Je reconnais évidemment que plusieurs de ses chansons sont des classiques intemporels de notre répertoire populaire, mais elles ne trouvent pas grand écho chez moi. D'ordinaire...

Dès les premières séquences du film de Louise Archambault, qui sera à l'affiche vendredi, j'ai été happé par la charge émotive de cette musique, par ces airs et ces paroles archiconnus, qui font partie (oui, sans doute plus qu'un crucifix) de notre patrimoine, et par l'interprétation transcendante de cette chorale atypique.

Ordinaire, Lindberg m'ont remué comme jamais auparavant. Ces chansons que j'ai entendues des centaines de fois m'ont soudainement plongé dans un état de sensibilité à fleur de peau, qui ne m'a pas quitté pendant toute la durée de la projection.

Cet équilibre soutenu, parfaitement dosé dans l'émotion, est à mon sens la grande force de ce très beau film, qui évite l'écueil du pathos et des bons sentiments.

Formidable sincérité

Gabrielle est une histoire toute simple. Celle d'un amour comme les autres, avec ses joies et ses pics, ses obstacles et ses embûches. Celle des premiers émois amoureux et des désirs qui s'y rattachent de jeunes gens aux prises avec un handicap intellectuel. Chose que l'on a peu l'occasion de voir à l'écran et qui est ici traitée avec grande sobriété.

Louise Archambault, à son deuxième long métrage de fiction après Familia (2005), pose un regard d'une extrême finesse sur ces deux personnages émouvants, beaux comme le jour, qui n'ont qu'une envie: s'aimer, librement, comme des gens ordinaires.

Des personnages interprétés avec une formidable sincérité par Alexandre Landry, jeune comédien professionnel bourré de talent, et Gabrielle Marion-Rivard, elle-même atteinte du syndrome de Williams, absolument lumineuse dans le rôle-titre.

Charme

La vérité du jeu de Gabrielle Marion-Rivard et la candeur de son interaction avec les autres comédiens compensent largement les quelques décalages dans son interprétation. Elle a un talent indéniable pour le chant, merveilleusement exploité dans le film, et un sourire qui marquera longtemps, j'en suis convaincu, le cinéma québécois. Le charme de l'imperfection.

Alexandre Landry, à son premier rôle au cinéma, est quant à lui bluffant d'authenticité dans le rôle de son amoureux naïf et attentionné. On ne s'étonne pas qu'il ait obtenu récemment le prix d'interprétation masculine au Festival d'Angoulême.

Il faut le voir chanter, dans un authentique karaoké devant un public de déficients intellectuels, Voilà de Jean Leloup, fixant Gabrielle droit dans les yeux. «Je veux te dire que je t'aime...»

Juste

Cette vérité dans le rapport amoureux, dans l'amour filial aussi (Mélissa Désormeaux-Poulin est extrêmement juste dans le rôle de la soeur de Gabrielle), imprègne de bout en bout, sans un instant de répit, le film de Louise Archambault.

La cinéaste a fait le choix, judicieux, de la caméra à l'épaule, pour donner à son oeuvre une esthétique s'approchant du documentaire.

Les scènes de répétition de la chorale m'ont d'ailleurs rappelé Entre les murs de Laurent Cantet, Palme d'or du Festival de Cannes en 2008, qui avait ce même ton, entre la réalité et la fiction.

Vincent-Guillaume Otis, plus vrai que vrai dans le rôle du directeur de chorale, y est pour beaucoup dans cette impression d'authenticité.

Ce formidable acteur, qui a lui-même un frère handicapé, incarne avec brio un enseignant à la patience à toute épreuve, d'une empathie sans limites pour ces chanteurs (la plupart fréquentant l'école Les Muses) en proie à de fréquentes crises d'angoisse et d'anxiété.

Hommage

Le film de Louise Archambault est à la fois un hommage à ces intervenants dévoués, à ces familles d'accueil particulières, à ces responsables de résidence admirables, comme ce Laurent qui a accueilli Gabrielle (Benoît Gouin, lui aussi excellent), qui permettent à des adultes atteints de handicaps intellectuels de s'épanouir.

Des organismes comme Les Muses, un centre d'arts de la scène offrant une formation professionnelle en chant, danse et théâtre à des gens comme Gabrielle.

Mardi, à 19h, se tiendra d'ailleurs au cinéma Excentris une soirée au profit de ce centre, en présence des artisans du film.

Des scènes du quotidien, de grande complicité, de grande douceur, de déchirements aussi, ajoutent au réalisme de ce film étonnant, qui a remporté le Prix du public au dernier Festival de Locarno.

Une scène en particulier m'a marqué: celle où la mère de Martin, découvrant Gabrielle en sous-vêtements dans sa chambre avec son fils, demande à l'intervenant s'il s'est «passé quelque chose» entre eux. «As-tu touché au pénis de Martin?», demande de but en blanc Laurent à Gabrielle.

J'ai pensé au rapport franc, sans détour, que l'on développe avec des gens qui ont une déficience, et qui ne connaissent généralement pas les faux-fuyants. J'ai pensé à ceux que je connais, des intervenants, des pères, des mères, des frères et des soeurs qui vivent cette situation au quotidien. J'ai pensé à Thierry, grand gars de 35 ans, que j'ai connu adolescent et qui a perdu sa mère dans la dernière année. Comme Gabrielle, il adore les chansons de Charlebois.