À la fin des vacances, mon fils de 9 ans avait lu les sept tomes de Harry Potter. Il y a à peine deux ans, il ne savait pas encore lire le mot "sorcier". Et voilà qu'en deux semaines, je l'ai vu dévorer 1500 pages sans images. Moi qui, à son âge, lisais Spirou et Fantasio...

Il avait apporté en voyage le tome 6 de la série, Harry Potter et le Prince de sang-mêlé. Une brique de 720 pages, empruntée à la bibliothèque. Je croyais naïvement qu'il en aurait jusqu'à Noël. Dix jours plus tard, à court de Ron et d'Hermione, j'ai dû lui acheter la version numérique de Harry Potter et les Reliques de la Mort. Il n'en a fait qu'une bouchée.

«Je préfère les livres en papier», m'a-t-il confié, après avoir relevé quantité de coquilles sur ma tablette numérique. Comment, me suis-je demandé, mon fils est-il devenu, presque à mon insu, boulimique de lecture? En fréquentant, depuis son plus jeune âge, la bibliothèque et la librairie de notre quartier. C'est là, notamment, qu'il a développé le goût de la lecture.

Certains aiment appuyer leurs thèses de statistiques, pour faire oublier qu'elles ont des fondements idéologiques. Manière de noyer un débat dans une enfilade de chiffres - présentés comme "objectifs" - en discréditant ceux qui ont a contrario des arguments philosophiques. Le débat entourant la politique du prix unique du livre, qui fait l'objet d'une commission parlementaire depuis lundi, n'y fait pas exception.

La majorité des acteurs du milieu littéraire propose que le prix du livre soit contrôlé par une nouvelle mesure législative (modifiant la Loi sur le livre). La proposition n'est pas nouvelle. Le prix d'un nouveau livre serait identique, pour une durée de neuf mois, qu'il soit vendu dans une librairie indépendante, une librairie en chaîne (Renaud-Bray, Archambault) ou une grande surface (Walmart, Costco).

Cette mesure, visant à protéger les petites librairies (qui ne peuvent concurrencer les grands détaillants et leurs rabais de 20% ou 30%), ne fait pas l'unanimité. À droite, on y voit bien sûr un accroc aux règles du libre marché, chiffres à l'appui, en clamant qu'on cède à des groupes de pression au détriment de la classe moyenne.

Il faut lire la note présentée par l'Institut économique de Montréal (IEDM), condensé de mauvaise foi se faisant passer pour une analyse objective de la situation, pour comprendre à quel point on peut faire dire tout et son contraire à des statistiques. L'IEDM prétend, comme s'il s'agissait d'une vérité mathématique absolue et universelle, qu'une politique du prix unique réduirait la vente de livres québécois de 17%. Pas de 16% ou de 18%, mais bien de 17%.

D'autres soutiennent que la situation des librairies ne commande pas une telle mesure, puisque les grandes surfaces ne comptent que pour 11% des ventes de livres au Québec. Sans toutefois préciser que seules les librairies en chaîne sont en progression - 53,5% des ventes en 2010 contre 45,5% en 2006 -, alors que les librairies indépendantes meurent à petit feu.

Ma librairie de quartier, comme bien d'autres, peine à survivre. Quantité de petites librairies ont déjà disparu, à Montréal et ailleurs. Des commerces tenus à bout de bras par des gens souvent passionnés, portant une attention particulière à des livres moins populaires, et pourtant nécessaires, d'éditeurs moins connus, que l'on ne retrouve pas partout ailleurs.

Refuser de venir en aide à ces libraires, c'est risquer de mettre en péril l'écosystème fragile du livre au Québec. Son équilibre et sa diversité. Être libraire est une vocation. On ne vend pas un livre comme on vend une casserole. La politique du prix unique du livre - largement réclamée, et pour cause, par le milieu littéraire - n'est pas une hérésie. Une mesure semblable existe en France.

Or, certains voudraient nous convaincre que cette politique aura des effets catastrophiques sur l'accessibilité au livre, en particulier pour les gens moins fortunés. C'est oublier à dessein qu'il existe au Québec un réseau de bibliothèques publiques permettant à tous, pauvres ou riches, d'avoir accès à des livres gratuitement.

Il n'est évidemment pas simple de faire la démonstration claire, nette et précise que la politique du prix unique sera une panacée pour les petites librairies. En raison de la popularité croissante - n'en déplaise à mon fils -du livre numérique et des détaillants en ligne comme Amazon, d'autres librairies disparaîtront inévitablement. Il reste qu'une telle mesure ne peut nuire à la pérennité des librairies de quartier.

D'aucuns sont d'avis qu'une politique du prix unique découragera les Québécois d'acheter des livres. Je prétends au contraire que condamner à mort les petites librairies, en leur refusant de l'aide, est plus dommageable pour la vente de livres, pour la lecture et pour l'équilibre du milieu littéraire que la perte d'un rabais chez Costco.

J'ose croire, sans étude tendancieuse à l'appui, que la proximité géographique d'une librairie a autant d'incidence sur la vente d'un livre qu'une différence de 5$ sur le prix du Guide de l'auto. Peut-être pas pour ceux qui ne fréquentent quasi jamais les librairies et continueront d'acheter Cinquante nuances de Grey (et dérivés) chez Costco, même sans rabais. Mais sans doute pour ceux qui, à prix égal, achèteront le plus récent livre de Kim Thúy en librairie, dans leur quartier, plutôt que de dépenser de l'essence pour se rendre dans une grande surface.

Ce qui me semble incontestable, c'est que de laisser à leur triste sort les petites librairies, véritables vecteurs de lecture ayant pignon sur rue, lieux pouvant inspirer un enfant comme mon fils, n'est pas une façon de promouvoir la lecture. Le livre, n'en déplaise à certains, n'a pas de prix.