Le Québec est au plus fort de la crise étudiante du printemps 2012. Dans la foulée des incidents au Palais des Congrès, une journaliste demande à Jeanne Reynolds, porte-parole de la CLASSE, si sa coalition condamne le vandalisme. «Le vandalisme, ça pourra être rediscuté», répond maladroitement la jeune étudiante du cégep de Valleyfield.

En arrière-plan, hors du champ des caméras de la télévision, Renaud Poirier St-Pierre, attaché de presse de la CLASSE (Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante) ne peut réprimer une grimace.

Il s'agit de l'un des moments forts du documentaire Carré rouge sur fond noir, réalisé par Santiago Bertolino et Hugo Samson, qui sera présenté lundi prochain à Télé-Québec, à 21h et simultanément au Cinéma Excentris (avant d'y prendre l'affiche le 30 août). Une incursion dans les coulisses non seulement d'un conflit étudiant historique, mais aussi de la joute médiatique qui l'a accompagné.

C'est ce qui frappe le plus dans ce film à hauteur d'étudiants, qui pose un regard de l'intérieur sur le «printemps érable» en suivant pas à pas les membres de la CLASSE, de leurs premières assemblées de l'hiver 2102 jusqu'à l'élection du Parti québécois l'automne suivant. À quel point ces jeunes de 17 à 25 ans sont conscients de la bataille de l'opinion publique qu'ils tentent de remporter et des stratégies médiatiques à leur portée.

Avec le recul, on se dit que sans les porte-parole charismatiques, brillants et juste assez pugnaces qu'étaient Gabriel Nadeau-Dubois, Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins - des jeunes gens qui «passent bien» à l'écran -, le mouvement étudiant n'aurait peut-être pas su rallier autant de gens à sa cause.

On ne s'étonne d'ailleurs pas que les têtes d'affiche du conflit aient été récupérées par les milieux médiatique et politique. Gabriel Nadeau-Dubois et Martine Desjardins seront «commentateurs» cet automne: le premier à l'émission de radio du matin de Marie-France Bazzo à Radio-Canada, la seconde chez le concurrent direct Paul Arcand au 98,5 FM (avec Mario Dumont) ainsi que chez Richard Martineau à LCN. Léo Bureau-Blouin, le plus posé des trois, a été élu député. Depuis, on ne l'entend plus guère parler que la langue de bois...

On les voit tous les trois se révéler dans ce Carré rouge sur fond noir au parti pris clairement affiché. Voici un documentaire non seulement engagé, mais aussi tendancieux, voire manichéen. On sait d'emblée où se situent les bons et les méchants. Ceux qui n'ont pas vu dans le projet de loi 78 l'un des épisodes les plus honteux de l'histoire du Québec accuseront sans doute les cinéastes de «propagande».

Surtout qu'ils abusent d'un procédé irritant, sorte de fondu musical modifiant la voix, pour accompagner toutes les déclarations de l'ex-premier ministre Jean Charest, de ses blagues de mauvais goût au salon du Plan Nord jusqu'à son credo du conflit, le paternaliste «faire sa juste part». M'est avis que le Parti libéral s'est assez discrédité lui-même pendant la crise. Il n'était pas nécessaire de l'appuyer avec des effets spéciaux.

Les cinéastes insistent particulièrement sur l'inanité des politiciens. On revoit Line Beauchamp, dépassée par les événements, démissionner en estimant ne plus faire «partie de la solution» (et on se demande si Jean Charest ne trouvait pas plutôt qu'elle posait problème?). On capte quelques moments savoureux où des policiers peu éclairés livrent le fond de leur pensée. Mais on reste, pour l'essentiel, au plus près des étudiants.

Avec des idéalistes archétypaux, qui chantent du Harmonium, leurs keffiehs autour du cou. Avec des anticapitalistes radicaux, qui appellent à la violence contre les policiers. ("Ça reste des osties de flics, au service des riches et des fascistes», chante le groupe Mise en demeure, peu reconnu pour ses propos nuancés.) Avec une poignée de casseurs, quelques carrés verts, des militants pacifistes et des victimes de brutalité policière.

Carré rouge sur fond noir s'apprécie comme un instantané d'un pan de l'histoire récente du Québec, du point de vue des étudiants. Ce compte rendu chronologique, assez didactique (avec quantité de statistiques à l'appui et une fâcheuse manie d'écrire «étudiants-tes»), ne propose pas de réflexion a posteriori sur les événements ni d'analyse de leurs conséquences.

Ceux qui ont suivi de près la crise étudiante risquent de rester sur leur faim. Certes, ils en sauront davantage sur ce qui s'est tramé en arrière-scène. Sur les dissensions au sein du mouvement étudiant. Sur la jalousie apparente des uns envers Gabriel Nadeau-Dubois, habile provocateur et orateur de talent, qui a monopolisé l'attention médiatique pendant le conflit.

On voit d'ailleurs GND planifier ses moindres coups d'éclat. Il s'efforce d'afficher un visage impassible après les événements de Victoriaville, il rédige lui-même certains de ses communiqués de presse, il réserve, comme un vieux routier, la primeur de sa démission à un journaliste. «C'est long, je suis fatigué, je suis tanné», l'entend-on dire, en privé, au terme de la 13e semaine de grève. On aurait pris davantage de ces séquences captées sur le vif.

On voit Nadeau-Dubois, dans un autre moment savoureux du documentaire, lire le magazine L'actualité - dont il fait la une - alors que ses camarades viennent de discuter du «culte» entourant sa personnalité. Mais lorsqu'il déclare aux cinéastes qu'il démissionne parce qu'il ne se sent plus la capacité de travailler en équipe, qu'il est usé par les médias et qu'il ne veut pas être «corrompu» par la machine médiatique, on se demande s'il le croit sincèrement.

Car - et là se trouve, à mon sens, la principale faiblesse du film - ses protagonistes semblent presque toujours conscients d'être dans l'oeil de la caméra. En répétition pour une carrière médiatique aussi souhaitée qu'inévitable.