Au lendemain de la soirée des Oscars, de quoi parlait-on? Du fait que Jennifer Lawrence s'est enfargée, les pieds à la traîne, dans sa robe de princesse Dior en allant chercher son prix d'interprétation.

On parlait du numéro musical puéril de l'animateur Seth MacFarlane sur les seins nus des actrices à l'écran (certaines dans des scènes de viol: bra-vo!). On parlait des nouveaux yeux bridés de Renée Zellweger, des toilettes bouchées du Dolby Theater et du commentaire de Ben Affleck voulant que son mariage avec Jennifer Garner, ben, comment dire, «c'est d'la job»...

On parlait beaucoup chez nous, chauvinisme oblige, des prix que n'ont pas reçus Rebelle de Kim Nguyen et Henry de Yan England (dont la seule présence à la cérémonie relevait, répétons-le, de l'exploit). On parlait aussi à la radio, davantage que des principales récompenses, des prix attribués à des Canadiens ainsi qu'aux remerciements «au Canada» de Ben Affleck, lauréat de l'Oscar du meilleur film pour Argo. L'inévitable angle local. Que voulez-vous...

On parlait bien sûr, à propos d'Affleck, de rédemption. Parce que l'acteur a traversé le désert au début de la dernière décennie. Après son très prometteur Oscar du meilleur scénario (avec son ami d'enfance Matt Damon) pour Good Will Hunting, en 1998, il a succombé aux charmes délétères de la célébrité, se faisant remarquer davantage pour ses frasques au bras de Jennifer Lopez - et dans ses vidéoclips - que pour la qualité de ses rôles au cinéma.

Gigli, Reindeer Games, Surviving Christmas, Jersey Girl et autres Man About Town ont fini de convaincre bien des gens que Ben Affleck, incarnation de la star hollywoodienne boursouflée, n'était qu'un feu de paille. Puis l'acteur a réalisé ses ambitions de réalisateur avec le convaincant Gone Baby Gone (2006) et le vent a commencé à tourner.

On a parlé de Ben Affleck, donc. Et d'Argo, un film «inspiré de faits vécus» ayant pris quelques libertés avec l'Histoire (ce qui n'a pas empêché son scénariste Chris Terrio de remporter l'Oscar du meilleur scénario adapté). Hier, Ken Taylor, ancien ambassadeur canadien en Iran, s'est dit satisfait du coup de chapeau au Canada de Ben Affleck, dont le film réduit considérablement le rôle d'Ottawa dans l'affaire de la libération de six otages américains à Téhéran, en 1980.

On a parlé de l'Iran, qui n'a pas apprécié le fait que Michelle Obama présente l'Oscar du meilleur film à Argo, considéré comme anti-iranien par Téhéran. La politique, oui, se mêle des Oscars. Ce qui explique qu'un film en tous points supérieur à Argo, Zero Dark Thirty, a été snobé par l'Académie (hormis un demi-prix technique) en raison de la controverse entourant son illustration de la torture.

Bref, on a parlé de géopolitique, de potins, de misogynie, d'abus de Botox, de blagues de mauvais goût, de Star Trek, de problèmes de canalisation et abondamment de robes - le «tapis rouge» des Oscars doit être le défilé de mode le plus médiatisé de la planète -, mais on a très peu parlé, il me semble, de cinéma.

Certains s'intéressent davantage au spectacle de la mi-temps qu'au match du Super Bowl. Le lendemain, on n'oublie pas pour autant le sport. Hier, on parlait de tout ou presque, sauf des films. De tout ce qui entoure les finalistes aux Oscars, de quel designer les a habillés, mais très peu de leur oeuvre.

Cela témoigne, à mon sens, pour oser un peu de psychologie à cinq sous, d'une tendance généralisée à accorder plus d'importance à la forme qu'au fond. L'accessoire importe plus que ce qu'il accompagne. Je m'égare, sans doute, mais je ne peux m'empêcher de poser cette question galvaudée: et la place de l'art, dans tout ça?

Je ne suis pas dupe de la formidable vitrine de marketing que représente la cérémonie des Oscars - et tout ce qui l'entoure, justement - pour l'industrie du cinéma hollywoodien. Mais pour qu'il y ait une vitrine, il faut qu'il y ait des films. Or, j'ai très peu entendu parler hier du fait qu'Argo, tout divertissant qu'il soit, est sans doute l'Oscar du meilleur film le plus faible depuis Shakespeare in Love (dans lequel jouait un certain Ben Affleck).

Il fallait voir, dimanche, les spectateurs du Dolby Theater accueillir sans enthousiasme particulier Michael Haneke, au moment de recevoir son Oscar du meilleur film en langue étrangère pour le remarquable Amour. Un parterre de cinéastes, d'acteurs, de scénaristes, de producteurs, sans l'ombre d'une idée de son identité. Régis Labeaume serait monté sur scène que la réaction eut été la même.

Michael Haneke, contrairement à Ben Affleck, est l'un des plus grands cinéastes vivants. Un grand maître du septième art, lauréat de deux Palmes d'or, metteur en scène d'oeuvres dérangeantes, prégnantes, bouleversantes. L'égal d'un Spielberg, d'un Coppola ou d'un Scorsese. Tiens, je me demande «qui» il portait, dimanche?