Steven Soderbergh menace depuis longtemps de ranger sa caméra. À quelques jours de la sortie de son dernier film, Side Effects, le réalisateur jure qu'on ne le reverra plus sur un plateau de tournage de cinéma.

Le cinéma n'a plus l'importance culturelle qu'il avait autrefois, se désole-t-il, en réaction sans doute au refus de Hollywood de diffuser en salle son plus récent projet, Behind the Candelabra.

Cette biographie de l'extravagant pianiste Liberace, mettant en vedette Michael Douglas et Matt Damon (dans le rôle de son amant), sera diffusée le printemps prochain à HBO. Les studios auraient levé le nez sur le film, selon le cinéaste, parce que sa thématique était «trop gaie»...

Steven Soderbergh, qui n'a jamais eu la langue dans sa poche, est un être de paradoxes. Sa carrière est à son image, entre des expérimentations parfois hasardeuses (The Girlfriend Experience, Full Frontal) et des propositions plus conventionnelles (Erin Brockovich, Ocean's Eleven). Depuis 2011, il annonce sa retraite imminente du cinéma, mais a réalisé six films. Et s'apprête peut-être à devenir, à 50 ans, le retraité le plus prolifique de l'histoire du cinéma.

Il serait dommage que Side Effects, à l'affiche vendredi, soit son chant du cygne cinématographique. Ce thriller psychologique - pour ne pas dire pharmacologique - aux multiples rebondissements pose un regard critique, avec un sourire en coin, sur l'industrie pharmaceutique. C'est un film vif, efficace, divertissant, subtilement tourné, sans être un grand Soderbergh.

On a connu le cinéaste de Traffic (qui lui a valu l'Oscar du meilleur réalisateur) plus aventureux et inspiré. Et l'on suppose que c'est de guerre lasse qu'il tire sa révérence, incapable d'imposer sa vision d'auteur aux bailleurs de fonds du cinéma hollywoodien.

Avant de tirer un trait sur sa carrière filmique, celui qui fut révélé à 26 ans par Sex, Lies and Videotape (Palme d'or à Cannes) s'est permis quelques pointes acerbes à l'endroit de Hollywood dans une récente entrevue au magazine New York.

Il y déclare que les réalisateurs sont de moins en moins considérés par les studios depuis qu'il a débuté dans le métier. Et dit regretter l'époque où les cinéastes avaient encore une réelle liberté,

«C'est devenu absolument horrible, dit-il. Cette manière dont les gens qui contrôlent l'argent peuvent décider à leur guise de péter dans la cuisine, pour parler crûment. Pas seulement les studios, mais tous ceux qui financent les films. Je ne comprends pas que l'on puisse présumer d'emblée que le réalisateur ne sait pas ce que le public veut ou a besoin de voir, alors qu'il est, en quelque sorte, le premier public.»

On devine chez Soderbergh à la fois une confirmation de sa désillusion et de son amertume vis-à-vis de l'industrie hollywoodienne. «Quand j'étais jeune, dit-il, on respectait les gens qui faisaient de grands films et ceux qui faisaient des films très rentables. Aujourd'hui, il n'y en a que pour ceux qui rapportent beaucoup d'argent.»

Soderbergh ne se contente pas de dénoncer le mercantilisme sauvage des grands studios. Il déclare carrément la «mort culturelle» du septième art.

«Je crois que le public des films de qualité a migré vers la télévision. Le format télévisuel permet une profondeur que j'apprécie dans le traitement d'un sujet. Trois millions et demi de personnes qui regardent une émission sur une chaîne câblée, c'est un succès. Le même nombre qui va voir un film, un échec. Je ne crois pas que les films ont la même importance qu'auparavant, d'un point de vue culturel.»

Soderbergh parle essentiellement, je présume, du cinéma hollywoodien. Il est vrai qu'il est rarissime de voir les grands studios produire des oeuvres qui ne sont pas formatées pour plaire au plus grand nombre. Le consensus est un argument de vente dans une industrie comme celle de cinéma.

Cela dit, déclarer la mort du septième art est pour le moins présomptueux. Il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil sur le cinéma indépendant, notamment américain, pour se convaincre de sa vitalité. J'aime beaucoup la télévision, que certains ont élevée au rang de grand art.

Grâce entre autres aux chaînes câblées américaines, les artisans du petit écran connaissent une période faste d'innovation, d'originalité et de liberté. Ce n'est pas pour rien qu'on a vu y migrer quantité de cinéastes, de scénaristes et d'acteurs de cinéma. La télévision n'est plus considérée depuis un moment comme un parent pauvre du cinéma.

Le cinéma, en revanche, n'a pas dit son dernier mot. On souhaiterait que ce soit aussi vrai de Steven Soderbergh. Nombre de cinéastes ont connu leurs plus belles années de création en début de carrière, sans jamais retrouver la même inspiration par la suite. Ce n'est pas son cas.

Peut-être est-ce parce qu'il fut un jeune prodige que Steven Soderbergh se sent aujourd'hui usé par une industrie sans merci? À force, Hollywood semble avoir eu raison de sa patience et de sa résilience.

Même s'il a connu sa part de ratages, Soderbergh a construit une filmographie truffée de perles: Out of Sight, The Limey ou encore, plus récemment, son diptyque sur le Che. À 50 ans seulement, il a encore bien des choses à dire. Pour peu qu'on lui en donne vraiment l'occasion.