On dira bien sûr que je suis prude. Que les démonstrations de post-féminisme m'échappent. Que je ne sais pas apprécier le girl power lorsqu'il se présente en tenue légère, avec des ailes d'ange et un balconnet.

On dira que je sous-estime l'effet de catharsis que représente, pour l'ensemble des femmes, le privilège de voir défiler d'autres femmes, plus jeunes, plus minces, mais moins habillées, à la télévision.

Mardi soir était diffusé, sur la chaîne américaine CBS, le défilé annuel du détaillant de lingerie Victoria's Secret. Manifestation on ne peut plus édifiante du progrès de la condition féminine et preuve irréfutable qu'en 2012, comme dirait Carla Bruni, le féminisme n'a plus de raison d'être.

Il est rassurant de constater que la femme-objet ne sert plus seulement à meubler les concours de «Miss», mais à vendre des bobettes en latex pendant que Justin Bieber, chérubin à peine remis de la préadolescence, se prend pour Casanova.

On ne pourra reprocher à Victoria's Secret son manque de constance: depuis la première télédiffusion de son défilé, en 2001, l'entreprise n'a jamais dérogé à la règle du modèle corporel unique (sans indice de gras). On ne dira jamais assez de bien d'une infopub kitsch qui invite les hommes à se rincer l'oeil, tout en laissant aux femmes le loisir de se trouver grosses et indésirables.

Le jour même de la diffusion de cette pétarade de dessous affriolants, le Geena Davis Institute on Gender in Media (organisme fondé en 2004 par l'actrice de Thelma and Louise et Commander in Chief) dévoilait les résultats de la plus récente étude sur l'image de la femme à la télévision et au cinéma américains. Ironique, oui.

Si personne ne conteste qu'il y a eu une réelle évolution dans la représentation de la femme à l'écran, le grand comme le petit, depuis 30 ans, les dernières statistiques démontrent que la guerre pour l'égalité des sexes au cinéma et à la télévision est loin d'être gagnée. Les images stéréotypées de la femme sont toujours omniprésentes dans les oeuvres de fiction, notamment celles destinées aux enfants.

Réalisée par des chercheurs de la University of Southern California, l'étude du Geena Davis Institute s'est intéressée à 129 films pour la famille, ayant pris l'affiche entre 2006 et 2011, ainsi qu'à 275 émissions de télévision diffusées à heure de grande écoute en septembre 2012, sur dix grandes chaînes américaines.

Ses conclusions n'ont rien de réjouissant. «Les personnages féminins sont toujours marginalisés, stéréotypés et sexualisés dans les émissions de télé populaires et les films pour la famille, constatent les chercheurs. Non seulement les femmes sont sous-représentées à l'écran, mais elles travaillent moins, occupent des postes moins prestigieux que les hommes et semblent principalement servir d'élément de décor.»

Selon l'étude, dans les comédies diffusées à heure de grande écoute aux États-Unis, 68% des hommes ont des rôles «parlants» contre seulement 31% des femmes. Et il y a encore moins de personnages féminins ayant voix dans les films destinés à la famille (28%).

Des statistiques éloquentes illustrent à quel point les Américains restent loin de la parité dans l'attribution des rôles à la télé et au cinéma. Les chercheurs ont déterminé que seulement 22% des émissions diffusées en prime time pouvaient se targuer d'une distribution équitable entre comédiens et comédiennes. Alors que seulement 11% des films dits «pour la famille» offrent autant des rôles importants à des personnages masculins que féminins.

Au Québec, sauf erreur, aucune étude approfondie sur le sujet n'a encore été publiée. La sociologue et auteure Anna Lupien prépare, pour le regroupement Réalisatrices équitables, une étude sur la représentation des femmes au cinéma, qui devrait être rendue publique le printemps prochain.

«Nous espérons aller en profondeur dans la réflexion, m'a-t-elle dit hier. Afin de bien cerner les personnages, leurs quêtes, leurs métiers, leurs compétences, leur importance dans le récit, leurs rapports amoureux et sexuels, et faire état de la manière qu'ils sont représentés, de la façon la plus objective possible.»

Anna Lupien avait participé, l'an dernier, à une autre étude commandée par Réalisatrices équitables, sur la faible proportion de femmes cinéastes, qui avait démontré que dans les 31 longs métrages de fiction québécois ayant pris l'affiche en 2010, les réalisateurs avaient, dans 85% des cas, accordé les rôles principaux à des hommes.

À l'hiver 2011, à la télévision québécoise, le pourcentage de fictions dont l'action était centrée autour de personnages féminins était de 63%, contre 81% pour les personnages masculins (la plupart des séries et téléromans comptant à la fois des hommes et des femmes comme personnages principaux).

Il serait intéressant de constater, étude exhaustive à l'appui, comment la télévision québécoise se mesure à la télévision américaine dans sa représentation des personnages féminins. M'est avis qu'une série comme Unité 9 reste, encore aujourd'hui, l'exception qui confirme la règle.

Une règle qui, malheureusement, s'apparente encore trop souvent aux stéréotypes sexuels de téléréalités comme Occupation double, au machisme larvé de plusieurs scénarios de films et au cliché éculé de dizaines de jeunes femmes défilant en sous-vêtements, à talons hauts, des ailes d'ange dans le dos, sans que quiconque n'y trouve quoi que ce soit à redire.