C'est un concours qui se voulait ludique. Je présume. En prévision du Gala de l'ADISQ de dimanche, Radio-Canada et Ernest, boutique de vêtements pour hommes, invitaient le public à s'improviser styliste en sélectionnant une tenue adéquate pour le chanteur Jean-François Breau.

Le choix, cornélien, entre un complet-cravate, un complet sans cravate ou avec noeud papillon, pour présenter sur scène le Félix du meilleur interprète masculin. Le suspense, intenable, a été nourri tout au long de la soirée par des publicités récurrentes de Jean-François Breau charriant une housse à vêtements. Au final, le Québec a choisi - comme il le faisait jadis à Loft Story - la tenue savamment débraillée du smoking «avec pas d'cravate». On est de son temps ou on ne l'est pas.

Que la télévision publique fasse passer du contenu publicitaire pour un «concours ludique» intégré à sa programmation ne me surprend plus. Je me sais pertinemment de la dernière race des Mohicans à se formaliser du mélange des genres en publicité. Quand certains spectateurs se félicitent des placements publicitaires harmonieux dans les émissions de télévision, je mesure le gouffre d'incompréhension qui nous sépare.

Ce qui m'a sauté aux yeux, ce n'est pas tant ce curieux concours que l'ironie de voir l'un des commanditaires les plus fidèles d'Occupation double, émission-phare de TVA (et preuve irréfutable que la fin du monde approche), s'allier à Radio-Canada.

Pour ceux qui auraient raté une mesure, Jean-François Breau, chanteur de charme dans ses temps libres, est l'une des nouvelles têtes d'affiche de Radio-Canada. Il est juge à l'émission Un air de famille, où des gens dont le métier n'est pas de chanter chantent, en famille, ce qui permet à la télévision publique de compenser la disparition à son antenne d'une émission culturelle ET de sa programmation destinée à la famille.

Ce qui m'a frappé aussi, en y réfléchissant davantage, c'est à quel point la programmation de Radio-Canada s'apparente de plus en plus à celle de TVA. Surtout pour ce qui est de ses émissions de variétés. Toutes les nouveautés de l'automne de la télévision publique (Un air de famille, La télé sur le divan, Alors on jase!) auraient tout aussi bien pu être diffusées chez son principal concurrent.

On ne tente plus de se distinguer. Au contraire, on singe. Avec des émissions qui, de toute évidence, ont pour principal dessein de gruger des parts de marché à TVA (sans grand succès du reste), des animateurs transfuges d'autres réseaux et des vedettes populaires qui inondent les chaises d'invités et de collaborateurs.

Notre télévision publique est-elle si frileuse qu'il faille à tout prix, peu importe l'émission, inviter l'une des 50 vedettes patentées du Québec pour nous parler de familles reconstituées, de recette de potage à la courge musquée ou de deuil d'un être cher? Au détriment de spécialistes moins connus et moins télégéniques, à la livraison sans doute moins dynamique, qui se sont penchés sérieusement, pendant des années, sur ces questions complexes?

Ces visages familiers du «grand public», pour la plupart sympathiques et talentueux (et parfois même pertinents), que l'on utilise à toutes les sauces et que l'on retrouve à fréquence régulière, sur l'une ou l'autre de nos multiples chaînes généralistes et spécialisées. Pour nous entretenir de tout et de n'importe quoi, pour jouer à des quiz que l'on juge trop ennuyeux sans eux ou pour meubler, sous n'importe quel prétexte, la liste des invités d'un show de chaises en manque de visibilité.

L'obsession maladive de notre télévision pour le vedettariat est telle que je me demande parfois si nous ne vivons pas sous une dictature de la célébrité. Pour ceux qui ne sont pas connus, point de salut. Et tant pis pour les centaines de milliers de téléspectateurs qui, en scrutant la petite boîte noire, ce médium qui nous unit davantage que tous les autres, espèrent apprendre, oui, par la transmission d'un savoir. D'un coup qu'on apprendrait quelque chose en découvrant de nouveaux visages, de nouvelles voix, de nouvelles idées et de nouvelles perspectives...

Je n'ai rien contre Joël Legendre, que je ne connais pas et qui est sans doute quelqu'un de très gentil. Mais à force de voir l'ancien animateur d'Occupation double sur toutes les tribunes de Radio-Canada, à l'animation des Gémeaux, à la barre d'émissions du matin comme du soir, présentant un prix au Gala de l'ADISQ, participant aux sketchs du Bye Bye, je me demande si la couleur qui le qualifie le mieux à mon sens, le beige, ne déteint pas sur notre télévision publique.

Une télévision aseptisée, générique, qui ne décoiffe plus guère, interchangeable, comme une chanson de Jean-François Breau ou un complet de chez Ernest. Une télévision qui brade sa spécificité en quête de cotes d'écoute. Une télé dont les dents ont été tellement blanchies qu'il nous arrive parfois, éblouis par son sourire, de la méprendre pour une autre.