Le Festival international du film de Toronto (TIFF) a annoncé hier sa sélection de films canadiens et québécois. Et ce qui saute aux yeux, d'emblée, c'est à quel point le menu québécois du TIFF est plus consistant que celui du Festival des films du monde (FFM), dévoilé la veille.

Au total, sept longs métrages québécois seront présentés entre le 6 et le 16 septembre: Rebelle de Kim Nguyen, Laurence Anyways de Xavier Dolan, Bestiaire de Denis Côté, Liverpool de Manon Briand, Camion de Rafaël Ouellet, ainsi que les très attendus Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette et Tout ce que tu possèdes de Bernard Émond (tous deux en première mondiale).

On remarquera l'absence, plutôt surprenante, de L'affaire Dumont de Podz, qui met en vedette Marc-André Grondin et qui doit prendre l'affiche le 14 septembre. Le film, qui n'a pas été sélectionné à Toronto, ne sera pas non plus présenté au FFM, pour des raisons «stratégiques», selon son distributeur Alliance Vivafilm. L'affaire Dumont ouvrira en revanche le Festival de cinéma de la Ville de Québec (FCVQ), le 13 septembre.

Avec sa sélection canadienne, qui comprend entre autres les nouveaux films de Sarah Polley, Brandon Cronenberg et Bruce Sweeney, Toronto s'impose plus que jamais comme la rampe de lancement de choix du cinéma québécois, au détriment de Montréal. C'est pour le moins ironique, dans la mesure où le FFM tente constamment de dépeindre le TIFF comme une succursale hollywoodienne qui ne s'intéresse qu'au cinéma américain et à ses vedettes.

Le FFM a l'habitude de compter sur des morceaux choisis du cinéma québécois d'automne, et son ouverture a été assurée, au cours des dernières années, par les 1981 de Ricardo Trogi, Route 132 de Louis Bélanger et autres Coteau rouge d'André Forcier. Mais le 36e FFM, qui roulera du 23 août au 3 septembre, ne compte qu'un film québécois en compétition, l'intrigante coproduction québéco-japonaise Karakaka de Claude Gagnon (The Kid Brother, Kamataki), avec Gabriel Arcand. Et le seul autre long métrage québécois du festival est Boucherie halal, un premier film du Torontois Babek Aliassa.

La désaffection du milieu du cinéma québécois à l'égard du FFM n'a jamais été aussi évidente. Mardi, lors du dévoilement de sa programmation, peu couru, l'industrie brillait par son absence. Et l'on sentait les évidentes tensions entre la direction du festival et le milieu cinématographique.

«Il vaut peut-être mieux qu'ils sortent appuyés d'une bonne campagne de marketing plutôt que de sortir dans un festival où certains journalistes seront méchants envers eux», a déclaré la directrice générale Danièle Cauchard à propos de la faible représentation des films québécois au FFM.

«Si on peut aider un film, ou qu'un film peut aider le festival, on le prend», a ajouté Serge Losique, en précisant que le cinéma québécois était «très bien représenté, en compétition et ailleurs» au FFM. Rappelons que le Festival des films du monde présentera 212 longs métrages cette année, dont deux sont québécois.

C'est précisément cette relation «d'entraide» entre le Festival et l'industrie, dont parle M. Losique, qui semble faire défaut au FFM. En coulisse, à mots à peine couverts, on comprend que bien des producteurs et distributeurs ne voient plus aucun avantage à ce que leurs films soient associés au festival montréalais. Ils craignent même qu'une présentation dans le cadre du FFM ne soit néfaste à la carrière en salle d'un film.

C'est ce qui explique peut-être que Liverpool de Manon Briand ait pris l'affiche quelques semaines seulement avant le Festival des films du monde. Que Camion de Rafaël Ouellet - qui aurait fait un excellent film d'ouverture - sortira en salle six jours avant le début du FFM. Qu'un film comme Catimini, deuxième long métrage de Nathalie Saint-Pierre (Ma voisine danse le ska), sera présenté en compétition à Angoulême plutôt qu'à Montréal à la fin du mois. Et que La vallée des larmes de Maryanne Zéhil, avec Nathalie Coupal, sur les massacres de Sabra et Chatila, prendra l'affiche en plein milieu du festival, sans y avoir été présenté.

En d'autres circonstances, plusieurs de ces films auraient volontiers profité de la tribune médiatique - en perte de vitesse, il faut dire - que représente le FFM. «Le monde et les temps changent», comme dirait l'autre...

Tablant sur sa réputation internationale, le TIFF (l'un des quatre grands festivals du monde du cinéma) arrache les plus gros morceaux de notre cinématographie au FFM et offre aux films québécois une visibilité sans commune mesure. L'industrie du cinéma et les médias du monde entier se déplacent à Toronto - devenu bien plus qu'un «festival de vedettes à gogo», comme le dirait Serge Losique -, ce qui n'est plus le cas de Montréal depuis belle lurette.

On l'a dit et redit, c'est vrai. Ce n'est pas moins triste pour autant.