Il y a des chansons qui repoussent les limites de la musique populaire, qui réinventent un genre, qui créent une tendance, qui transcendent tout ce qui a été fait auparavant. Comment dire... C'est à nous de choisir, la chanson-thème de la campagne électorale du Parti québécois (PQ), n'est pas de cette eau-là.

Dimanche, le PQ a diffusé sur son site internet et sur YouTube cette composition de Nelson Minville interprétée entre autres par Michel Rivard, Daniel Boucher, Marie-Élaine Thibert, Ariane Moffatt, Yann Perreau et Marie-Pierre Arthur.

Les mélomanes les plus avertis auront remarqué une certaine filiation dans les thèmes musicaux avec la bouillie qui s'échappe d'ordinaire de la bouche des concurrents-chanteurs-mannequins-de-bobettes de Star Académie. Des arrangements lisses d'une autre époque (le milieu des années 80), un refrain fleur bleue d'une autre époque (le milieu des années 80), des choeurs dégoulinants d'une autre époque (le milieu des années 80), enrobés de sirop certifié 100% pas bio et d'éclats de voix scintillants, avec un crescendo tout en trémolos.

Tout ce qui fait, en 2012, le succès de Star Académie, une émission pour vieux mettant en vedette des jeunes qui chantent comme des vieux (souvent en compagnie de vieux).

En découvrant cette vidéo qui n'en est pas une - on ne voit du début à la fin que les mots «Pauline web télé» (ça ne s'invente pas) sur fond de couronne bleue nouvel-âgeuse -, je n'ai pas pensé d'emblée à Star Académie.

J'ai pensé que c'était une blague. J'ai pensé que le site du PQ avait été piraté par le mouvement raëlien. J'ai pensé qu'on avait embauché le graphiste des émissions de clairvoyance de fin de soirée à V. J'ai pensé aux chansons mielleuses qui accompagnent les promotions de la rentrée d'automne de TVA. J'ai pensé à une ritournelle des pubs de papier de toilette.

J'ai aussi pensé spontanément, au terme de ces deux minutes et demie de supplice auditif, aux Yeux de la faim, une autre chanson collective fabriquée au Québec, et à toutes ces chansons pétries de bonnes intentions qui ont fleuri sur la mauvaise conscience des Occidentaux lorsqu'on nous a montré à la télé des enfants éthiopiens guettés par des mouches. Question d'esthétique. Je vous parlais la semaine dernière d'une étude espagnole sur la musique pop qui n'évolue guère...

Je me suis demandé, presque simultanément, comment autant d'artistes de talent s'étaient retrouvés dans pareille galère. Quel gaspillage. Il me semble qu'il est possible d'afficher ses couleurs politiques sans pour autant renier son art. Et de soutenir la «Cause» sans y sacrifier sa réputation. Bref, si j'avais un conseil à donner à Yann, Ariane et les autres, ce serait le suivant: effacez ça de vos CV au PC (et je ne parle pas de l'ancien parti de Jean Charest).

C'est sans parler des paroles, coulées, bien entendu, dans le même moule de la subtilité. «C'est à nous de choisir, de retrouver confiance. C'est le moment d'agir, de se donner la chance. D'enfin s'appartenir. À nous de faire grandir cet espoir qui revient. C'est à nous de choisir, pour notre propre bien. C'est le temps de choisir de meilleurs lendemains.» Pierre Bourgault, qui a écrit Entre deux joints, doit se retourner dans sa tombe. On dirait une pub de Vitagro.

Sur le site du PQ, de façon assez présomptueuse, on indique sous la vidéo, en proposant d'autres liens: «Vous aimerez aussi». Sans façon. Sur YouTube, où l'on trouve des vidéos susceptibles d'intéresser le même public, il y avait hier À chacun son étoile d'Alain Morisod et Sweet People. Inutile d'en rajouter.

Le Parti libéral, sauf erreur, n'a pas de nouvelle chanson-thème. Celle de Loco Locass suffit amplement.