J'ai deux grandes passions: le cinéma et le soccer. Elles sont réunies dans Zidane: un portrait du XXIe siècle, un film de Douglas Gordon et Philippe Parreno, deux artistes contemporains de réputation internationale - l'un écossais, l'autre français - par ailleurs amateurs de football.

Ce documentaire «en temps réel» (de 90 minutes, comme la durée d'un match) prend l'affiche au Cinéma du Parc vendredi prochain. Je dis documentaire alors qu'il s'agit surtout du portrait hyper réaliste, sans narration ni artifices, de l'un des plus grands athlètes des 10 dernières années.

J'ai découvert Zinedine Zidane lors du championnat d'Europe des nations (l'Euro) de 1996. Deux ans plus tard, je croyais bien le voir en chair et en os à l'occasion d'un huitième de finale de la Coupe du monde, à Lens. Mais le héros du Mondial 98 m'a posé un lapin, suspendu pour un geste antisportif contre l'Arabie saoudite quelques jours plus tôt. En 2002, je me suis rendu jusqu'en Corée, pour La Presse, sur les traces de Zizou. Il s'est blessé à l'avant-veille du début du Mondial...

Rater Zidane, tel est mon destin, ai-je philosophé. C'était sans compter sur son rétablissement, prompt mais partiel, deux semaines plus tard. Il y a cinq ans presque jour pour jour, à Incheon, j'ai vu le joueur le plus élégant de son époque, diminué, mener son équipe comme un chef d'orchestre, face à une opposition danoise trop forte. Les images que j'en ai conservées restent floues, comme ces photos que j'ai prises de trop loin avec un appareil jetable.

Zidane: un portrait du XXIe siècle vient conjurer le sort une fois pour toutes. Halte-là! Diguédine dan! Zinedine Zidane est là, en gros plan, dans toute la splendeur de son art, la beauté du geste, l'esthétisme du passement de jambes, le déploiement de son talent et l'efficacité du jeu «à l'ancienne», d'une admirable simplicité.

Le film de Gordon et Parreno, des artistes célébrés dans les MoMA, Tate Gallery et autres Guggenheim du monde muséal, nous apprend peu de choses sur Zidane le personnage public. Aucune image d'archives, aucune entrevue de fond, aucun cadre historique permettant de percer le mystère Zidane, un homme à la fois timide et sanguin, protégé par un entourage serré qui alimente le mythe.

En revanche, ce film nous montre comme jamais Zidane l'athlète. C'est un film sur la mécanique de l'athlète davantage que sur l'aura du joueur-vedette. Un film sur l'athlétisme au sens propre. Pas étonnant qu'il ait fait fuir la plupart des amateurs de soccer venus à sa rencontre. Et qu'il ait eu peu de succès auprès du grand public cinéphile en Europe. Ce documentaire est à ranger dans le rayon de l'art conceptuel, pas dans ceux des biographies flamboyantes de stars ou des «faits saillants» de bulletins de nouvelles sportives.

Zidane: portrait du XXIe siècle offre une vision d'esthète, à mille lieues des séquences «best of» et orgies de buts de YouTube. C'est de l'anti-spectacle. Un regard oblique sur un athlète parmi les plus médiatisés de la planète, qui surprend par sa retenue et sa sobriété. On est dans la tête de Zinedine Zidane, pour peu que cela soit possible. Dans l'essence même du film d'art et d'essai, avec les forces (la singularité, la beauté de l'image) et les faiblesses (la complaisance, l'ascétisme) de cette appellation démodée.

Gordon et Parreno ont entrepris de filmer sans interruption un match entier de la Liga espagnole (Real Madrid-Villareal, en avril 2005), sous l'angle d'un seul joueur, scruté à la loupe par 17 caméras synchrones, en HD et super 35 mm (scope). Ce joueur, c'est bien entendu Zinedine Zidane, observé sous toutes ses coutures, en mouvement continu, contrairement à son ex-coéquipier David Beckham, endormi jadis sous l'objectif de Sam Taylor-Wood.

Dans ce tableau vivant, Zizou sue, crie, crache, court, tombe, s'époumone, et effleure le gazon du bout de ses crampons, par réflexe ou par superstition. Les multiples caméras sont braquées sur ses pieds, ses jambes, son torse, son visage impassible, impénétrable, stoïque, figé dans un rictus permanent. Les réalisateurs, concentrés sur leur sujet, fixés sur ce seul halo lumineux, font volontairement abstraction du génie tactique, du sens du jeu hors normes de Zidane, sa principale marque de commerce (si l'on fait exception de ses nombreux commanditaires).

Le montage, forcément haché, a nécessité neuf mois de travail (pour 90 minutes de tournage). À l'arrivée se trouve cet objet atypique, contemplatif, magnifiquement photographié sous la direction de Darius Khondji (Polanski, Jeunet, Wong Kar-waï) et porté par une trame sonore aussi mélancolique qu'une fin de grande carrière sportive. Le son, autant que l'image, se situe au cour de l'expérience. Les gestes de l'idole, assourdis par le post-rock hypnotique de Mogwai, dominés par la rumeur de la foule, les appels de balle et le tac-tac des une-deux sur le ballon.

Zinedine Zidane dit n'avoir qu'un seul regret à propos de ce projet: celui de ne pas «avoir mieux joué». Ce n'est pas son plus grand match, mais après une première demie en demi-teintes où il ne touche que rarement au ballon, il est au cour de l'action. L'expérience aurait pu être ratée. Elle ne l'est pas. Le scénario compte sa part de rebondissements, avec à la clé un coup de théâtre prémonitoire de la finale de la dernière Coupe du monde, perdue par Zidane dans les circonstances que l'on sait.

Ironie du sort, c'est la presse italienne qui a le mieux reçu le film au Festival de Cannes, où il était présenté en première, quelques semaines seulement avant la finale France-Italie du Mondial 2006. Zidane: un portrait du XXIe siècle s'adresse à ceux qui s'intéressent au sport bien au-delà de ce fameux coup de boule de juillet dernier. Et à ceux-là pour qui le foot n'est pas qu'un sport, mais bien un art.

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