Certains lecteurs ne l'ont pas raté. Quelques-uns d'entre eux, enfin ceux qui trouvent des vertus nutritives aux navets qui vont au four, ont même jubilé à la lecture du nom de leur idole dans le calendrier estival que ce journal a publié la semaine dernière.

Après plusieurs années d'absence, le vénéré Alan Smithee effectue un retour en force. Oui, oui, vous avez bien lu. Le grand Smithee arrive avec son nouveau film, plus vite même que vous ne le croyez. La sortie de Shortcut to Happiness est en effet prévue le mois prochain. Réjouissons-nous.

Ce nom légendaire n'était pourtant pas associé au titre du film dans le programme que nous avait fourni le distributeur. Un simple oubli, pensez bien. Mais ne reculant devant rien pour préserver le sacro-saint droit du public à l'information (faites partir ici le thème musical de Rocky), nous nous sommes lancé dans une enquête qui nous a mené directement à l'oeuvre du plus éclectique des cinéastes.

Le maître Smithee compte en effet dans sa filmographie des films de tous genres, de même que plusieurs productions télévisuelles, toutes plus inspirées les unes que les autres. Hellraiser : Bloodline, The Shrimp on the Barbie ou The O.J. Simpson Story constituent autant de précieuses contributions à l'art cinématographique.

Bon ça va. Arrêtez la musique. Comme plusieurs d'entre vous sont déjà au courant, point de secret n'est ici révélé si je vous dis qu'Alan Smithee n'existe pas. Il s'agit d'un nom d'emprunt qu'utilise un auteur ou un cinéaste quand il est dépossédé de son film à un point où il perd tout contrôle sur le plan créatif. À un moment ou à un autre, des artisans aussi réputés que John Frankenheimer, Sam Raimi, Dennis Hopper ou Sidney Lumet ont préféré choisir cette identité.

Alan Smithee (anagramme pour The Alias Men) a bénéficié d'une telle notoriété après la sortie de An Alan Smithee Film : Burn Hollywood Burn en 1998 que la Director's Guild Association avait même décidé de remplacer désormais ce célèbre nom par celui de Thomas Lee (Supernova). Il faut croire qu'on ne se débarrasse pourtant pas de nos propres légendes comme on l'entend

Dans le cas de Shortcut to Happiness, l'homme derrière la caméra n'est nul autre qu'Alec Baldwin. Et l'histoire de la première réalisation de l'acteur n'a strictement rien d'un raccourci vers le bonheur.

Au printemps 2001, il y a quand même six ans de cela, Alec Baldwin a conclu le tournage de son premier film, un remake de The Devil and Daniel Webster, drame réalisé par William Dieterle en 1941. Pour son coup d'essai, Baldwin, qui s'est donné l'un des rôles principaux, a réuni autour de lui une distribution assez costaude : Anthony Hopkins, Jennifer Love Hewitt, Kim Cattrall, John Savage, Jason Patric, Dan Aykroyd et bien d'autres.

Selon ce qu'a écrit récemment le journal Variety, le film n'a jamais pu émerger de sa période de post-production. Baldwin a même poursuivi la compagnie productrice pour non-paiement de cachets mais il aurait finalement conclu une entente à l'amiable. Il a toutefois, dès lors, retiré son nom du projet.

Même si nous avons appris récemment de la bouche même de Benoît XVI la disparition des limbes, il est clair que les productions cinématographiques n'ont pas été touchées par cette annonce. The Devil and Daniel Webster y est en effet resté pendant des années, les sommes nécessaires à la finition du film n'ayant jamais pu être amassées. Des entreprises qui ont participé au projet s'étant aussi réinventées au fil des ans, une question de droits serait venue compliquer les choses. Pendant cette période, on aurait monté le film en plusieurs versions, même si aucun contrat de distribution ne figurait encore à l'horizon.

Rachetés récemment d'une compagnie d'assurances qui a autorisé une nouvelle mise de fonds, les droits sont maintenant détenus par Yari Film Group, dont les films sont relayés chez nous par Alliance Atlantis Vivafilm. Aux dernières nouvelles, la société n'avait pas l'intention de monter le film à nouveau mais souhaitait néanmoins présenter à Alec Baldwin la plus récente mouture, laquelle porte désormais le titre Shortcut to Happiness.

On souhaiterait en effet convaincre ainsi ce dernier d'en reconnaître la paternité. Il n'est toutefois pas dit qu'Alan Smithee se laissera tasser aussi facilement. Sa réputation est quand même en jeu.