Quarante ans après la sortie de Belle de jour, le chef d'oeuvre de Luis Bunuel, Bulle Ogier reprend le personnage qu'avait créé Catherine Deneuve à l'époque. Mais Belle toujours est avant tout un film de Manoel de Oliveira, le doyen du cinéma mondial.

Son visage a illuminé la Nouvelle vague mais l'actrice a quand même traversé l'époque de façon discrète. Au point même où les gens issus des plus jeunes générations ne retiennent parfois d'elle que sa prestation dans Vénus Beauté (institut) de Tonie Marshall. Bulle Ogier fut l'une des figures de proue du théâtre d'avant-garde des années 60; l'égérie de Jacques Rivette et de Barbet Schroeder (son mari) ; et aujourd'hui une comédienne à qui font appel les cinéastes partageant une communauté d'esprit avec le mouvement de leurs aînés. Xavier Beauvois, Marion Vernoux, Julie Lopes-Curval, Sophie Fillières, Jacques Audiard et Noémie Lvovsky, notamment, ont su utiliser à bon escient la personnalité d'actrice singulière de cette femme, née Marie-France Thielland.

Dès vendredi, Bulle Ogier prêtera ses traits à Séverine Serizy, dite «Belle de jour». Il y a maintenant 40 ans, cette jeune mariée délaissait quotidiennement son milieu bourgeois pendant trois heures tous les après-midi pour se livrer à des jeux érotiques sado-masochistes dans une maison spécialisée. Dans Belle toujours, le doyen du cinéma mondial, le réalisateur portugais Manoel de Oliveira, a voulu rendre hommage à Luis Bunuel (et aussi au scénariste Jean-Claude Carrière) en reprenant l'histoire de Belle de jour, le chef-d'oeuvre du cinéaste espagnol.

«Manoel est quelqu'un que j'admire beaucoup, explique Bulle Ogier au cours d'un entretien accordé à La Presse à Paris. J'avais déjà tourné Mon cas sous sa direction il y a une vingtaine d'années et nous sommes toujours restés très liés depuis. Quand il a évoqué un projet de film dans lequel il y avait un rôle pour moi, je n'ai même pas posé de questions !»

L'actrice a peut-être bien fait d'adopter cette attitude. Si elle avait su dès le départ qu'elle devait reprendre le rôle qu'a créé Catherine Deneuve à l'époque, il n'est pas dit qu'elle aurait d'emblée donné son accord. «Pour tout dire, c'est plutôt Michel (Piccoli) qui m'a présenté la chose. Je trouvais d'ailleurs l'idée très belle. Au moment de la lecture du scénario, je n'ai franchement pas vu une suite de Belle de jour à proprement parler. J'ai bien entendu reconnu les personnages mais, personnellement, j'y voyais avant tout un film de Manoel de Oliveira.»

Elle a ainsi su plus tard que le rôle avait évidemment été offert à Catherine Deneuve en tout premier lieu. Malgré sa complicité et son affection pour le cinéaste portugais, l'interprète originale a décliné l'invitation. «De mon côté, je n'avais pas vraiment réalisé la nature du projet avant d'arriver sur le plateau, confie Bulle Ogier. C'est là que j'ai eu un moment de panique. Car il fallait alors trouver comment faire. Le pari me semblait impossible à relever. Belle de jour est quand même le rôle le plus mythique de Catherine Deneuve. Et le grand chef-d'oeuvre de Bunuel de surcroît. Je trouvais ridicule d'avoir accepté cette proposition !»

Comme un grand classique

L'actrice, qui affirme être constamment rongée par l'autocritique, a surmonté ses angoisses en discutant beaucoup avec le cinéaste. L'aide de Michel Piccoli, son partenaire de jeu avec qui elle partage notamment une grande complicité au théâtre, s'est aussi révélée précieuse. L'acteur reprend le rôle de Husson, cet ami du mari de " Belle de jour " dont on ne sait toujours pas s'il avait révélé à ce dernier avant sa mort les secrets qu'il avait découverts sur sa douce moitié.

«On m'a fait comprendre que je devais aborder le rôle comme un personnage mythique dans un grand classique. Phèdre par exemple. Le mythe de Belle de jour est tellement grand que je comprends tout à fait Catherine de ne pas avoir voulu y toucher. Cela ne voudrait rien dire pour elle.»

Une fois cet état d'esprit atteint, l'actrice a évacué Belle de jour de sa mémoire pour se concentrer sur un film qui, tout en évoquant l'univers de Bunuel, fait aussi écho aux préoccupations spirituelles de Manoel de Oliveira.

«C'était la seule attitude à prendre car je ne pouvais pas me mesurer à l'image qu'a laissée Catherine Deneuve avec ce rôle. Ce n'est pas possible. D'autant plus que nous sommes des actrices très différentes. À l'époque de Belle de jour, je tournais des films anarchistes dans lesquels on me donnait des personnages plutôt rebelles. Cela n'avait rien à voir avec ce que représentait Catherine à l'époque.»

Aujourd'hui, Bulle Ogier ne regrette pas l'aventure, bien au contraire. «Quand j'ai vu Belle toujours la première fois, j'ai été stupéfaite par l'intelligence, la finesse de ce film. Il s'y dit des choses importantes, notamment sur la vieillesse. Quand on pense que l'homme qui est derrière ce petit chef-d'oeuvre est presque centenaire*, cela donne beaucoup d'espoir !»

* Manoel de Oliveira aura 99 ans en décembre. Belle toujours prend l'affiche le 13 juillet.



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