Dans In the Valley of Elah, le nouveau - et très troublant - film de Paul Haggis, un vétéran explique qu'un drapeau hissé à l'envers constitue, dans les faits, un appel de détresse. Une bannière étoilée flottant au vent dans le mauvais sens indiquerait, par exemple, que les États-Unis sont en péril. Et qu'à ce titre, ils réclament l'aide de la communauté internationale.

En utilisant cette image, l'auteur cinéaste d'origine canadienne (installé à Los Angeles depuis plus de 25 ans) tente évidemment d'illustrer à quel point le gouvernement américain joue avec le feu. Et montre comment les autorités se complaisent dans leurs convictions en pervertissant les valeurs qui servent d'assises au pays.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, de nombreux films très critiques à l'égard de la guerre en Irak prendront l'affiche. Les créateurs américains ont enfin repris leur rôle, fondamental dans une démocratie: aller au-delà des idées reçues, remettre en question le discours officiel. Et peut-être même débusquer au détour une parcelle de vérité.

Je dis «enfin», car, à quelques exceptions près, les artistes américains étaient bien rentrés dans le rang quand la guerre en Irak fut lancée. Leur dissidence aurait pourtant été alors mille fois plus utile qu'aujourd'hui. Y a-t-il encore un mérite à dénoncer une situation maintenant honnie de façon consensuelle?

Loin de moi l'idée qu'on agit ici par pur opportunisme, mais il est clair que Hollywood sent bien de quel côté le vent tourne. Et l'a toujours su. Il y a à peine quatre ans, plusieurs productions sortant de l'usine à rêves - généralement très mauvaises - s'inscrivaient dans l'«effort de guerre» suggéré par la Maison-Blanche. Un «échange de bons procédés» entre le gouvernement et l'industrie du cinéma avait alors été établi.

Le délire était tel qu'on en était venu à modifier l'affiche de What a Girl Wants, une comédie romantique tout à fait inoffensive, parce qu'on y voyait Amanda Bynes faire le signe de paix.

C'était en 2003. Pendant que vous étiez des milliers à descendre dans la rue par un froid de canard pour dénoncer l'offensive de l'oncle Sam, les artistes américains, eux, s'emmuraient dans un silence suspect. Par autocensure, peut-être aussi par crainte de représailles, les acteurs et cinéastes, notamment, ne souhaitaient pas faire entendre leur voix.

Au moment où George W. Bush s'apprêtait à envoyer ses troupes dans le pays de Saddam Hussein - le jour même, en fait, où Colin Powell essayait maladroitement de défendre l'indéfendable politique de son patron devant le Conseil de sécurité des Nations unies -, j'étais au Festival de Berlin. Je me rappelle le malaise de Kevin Spacey quand, interrogé par la presse internationale à propos de cette crise imminente, il avait déclaré ne pas comprendre pourquoi les artistes étaient obligés de livrer leurs convictions politiques personnelles. «Quel en est l'intérêt?» avait-il lancé.

Un mois plus tard, à la soirée des Oscars, les seules allusions plus critiques à propos de la guerre en Irak - les hostilités avaient alors été déclenchées - sont venues d'acteurs et de cinéastes étrangers, Gael Garcia Bernal en tête. Bien sûr, Michael Moore allait suivre quelques minutes plus tard en lançant sa bombe anti-Bush. Cela était attendu. On a beau remettre en cause les méthodes qu'utilise le trublion américain dans ses films, il reste que le réalisateur de Bowling for Columbine est toujours demeuré fidèle à ses convictions. Il fait en tout cas partie de ceux - avec Sean Penn et quelques autres - qui ont tenu à bout de bras le discours d'opposition à une époque où, à l'intérieur des États-Unis à tout le moins, il n'était pas de bon ton de le faire. Cela n'était pas encore fashion, à vrai dire.

Voilà pourquoi cette nouvelle «vague» de films antimilitaristes, dans lesquels on explore les conséquences désastreuses d'un conflit fustigé depuis le début par la communauté internationale, me laisse un peu perplexe.

J'aurais comme une envie de demander à tous ces gens où diable ils s'étaient cachés pendant que nous plantions tous notre drapeau à l'envers.