On l'avait un peu perdue de vue récemment au cinéma québécois. La nordicité. Cet état nordique (merci Denis Côté) qui forge notre caractère, notre identité propre. J'ai toujours trouvé que nous exagérions notre fibre latine pour nous distinguer des anglo-saxons. Le Québécois n'a de latin que la langue. Pour le reste, notre pays, c'est surtout l'hiver, comme disait le poète. Et puis l'automne qui l'annonce, avec ses journées grises qui estompent la bonne humeur.

Cette semaine, j'ai vu au Festival du nouveau cinéma trois premiers films de jeunes cinéastes d'ici qui embrassent cette nordicité. Le documentaire Durs à cuire, de Guillaume Sylvestre, dont il a abondamment été question dans ces pages, s'amorce l'hiver et se termine l'hiver avec deux personnages, les chefs Martin Picard et Normand Laprise, plus grands que nature. Entre les deux, le propos s'éparpille parfois mais le plaisir, celui de la bonne chair et de la convivialité, reste intact. Ce n'est pas parce qu'il fait froid qu'on ne peut être chauds. Prendre un p'tit coup, c'est agréable.

Anaïs Barbeau-Lavalette n'a pas 30 ans. Elle vient de signer un premier long métrage de fiction. Elle a fait ses classes dans le documentaire et travaille depuis longtemps avec le Dr Gilles Julien, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. C'est de cette expérience qu'elle a tiré Le ring, un film social engagé, dans la lignée du cinéma - nordique lui aussi - de Ken Loach ou de Mike Leigh. Un film touchant sur la misère, qui évite le piège de la complaisance et du misérabilisme (et qui a été remarqué il y a une semaine au festival de Pusan, en Corée du Sud).

Le ring était un pari risqué. Parce qu'il repose sur les épaules d'un jeune acteur non professionnel, Maxime Desjardins-Tremblay, un mordu de lutte amateure d'Hochelaga-Maisonneuve qui campe le rôle d'un mordu de lutte amateure d'Hochelaga-Maisonneuve. Son personnage de Jessy voit sa famille imploser: sa mère toxicomane quitte leur appartement miteux, son frère aîné trempe dans la dope, sa soeur songe à la prostitution, son père, dépassé par les événements, boit de la bière.

Le ring est un film casse-gueule, justement, parce que plusieurs auraient pu s'y casser la gueule. Combien de films ont souffert du jeu limité d'enfants-acteurs mal dirigés? Anaïs Barbeau-Lavalette évite cet écueil avec talent et doigté. Son acteur principal - «un vrai passionné de lutte», nous disait-elle cette semaine -, sorte de jeune Alexandre Despatie effarouché, magnifie Le ring. D'un naturel désarmant, Maxime Desjardins-Tremblay est fabuleux dans la peau de ce préado en colère, qui tente de survivre tant bien que mal dans un univers de privation et de désolation. Le ring, volontairement gris et froid, n'est pas sans défauts - il frôle parfois la caricature -, mais au final, il sonne cruellement vrai. C'est une grande qualité.

Des qualités, Continental, un film sans fusil en a trop pour qu'on les énumère toutes. C'est un film contemplatif, gris comme l'ennui. Un film de spleen de fin d'automne. Un premier film brillant de Stéphane Lafleur, fait de fine dentelle, dont les effets sont mesurés. Dans la mise en scène (inventive), dans l'interprétation (très juste), dans la réalisation (en plans fixes) comme dans la recherche sonore (remarquable). Un film de non-dit, de silences éloquents, de moteurs de frigos bruyants, de notes d'orgue surannées, de pellicules d'albums photos froissées, de cris de voisins qui font l'amour, étouffés par les murs en carton-pâte d'un hôtel générique en bordure d'autoroute.

Il y a quelque chose de très nordique dans l'esthétique de Continental, un film sans fusil, habilement mené par ce jeune auteur-cinéaste issu du mouvement kino, dans un chassé-croisé subtil, baigné dans un humour noir. On faisait remarquer à Stéphane Lafleur il y a quelques jours cette parenté de son film avec le cinéma scandinave de Ka-rismaki, Kormakur, Bent Hamer, Roy Andersson. Il n'a pas nié la filiation, bien au contraire.

Continental se présente comme une série de scènes de la vie quotidienne. Une réceptionniste d'hôtel célibataire (Fanny Mallette) qui se ballade sans raison avec un vélo muni d'un siège pour enfant. Un brocanteur vieillissant (Gilbert Sicotte) qui doit trouver 15 000$ pour se faire opérer de la mâchoire. Un vendeur d'assurances (Réal Bossé) dont le couple bat de l'aile, qui a fait imprimer 2000 cartes d'affaires sur lesquelles son prénom est mal épelé. Une femme (Marie-Ginette Guay) dont le mari a disparu, qui hésite à se débarrasser de ses affaires.

Des acteurs formidables de retenue, dirigés avec un grand souci du détail par un nouvel auteur qui impose déjà un style. Une rareté. On ne s'étonne pas que Continental, un film sans fusil ait été remarqué à la Mostra de Venise, qu'il ait remporté le prix du meilleur film canadien au Festival de Toronto ainsi que le Bayard d'or du Festival du film francophone de Namur, en début de semaine. Je le dis sans crainte d'être récupéré, ce film sans fusil est ce que j'ai vu de mieux au cinéma québécois cette année.