Sentant l’heure H approcher, une poignée de scénaristes américains et leurs amis ont bricolé une vidéo. On peut la voir sur YouTube sous le titre Heroes of the Writers Strike avec la mention «diffusé sur l’internet, vous savez cette chose qui ne nous paie jamais».

On y voit une bande d’illustres inconnus comme Paul Guay, scénariste du film Liar, liar, ajuster le complet d’un client dans une mercerie pour hommes, Thomas Dean Donnelly, scénariste de Sahara, vendre des burgers et des frites et Harris Goldberg, scénariste de Deuce Bigalow, faire le trottoir, avec le sous-entendu que désormais pour gagner leur vie, ces éminents scénaristes doivent s’en remettre à une jobine. C’est une pure fiction bien entendu. Même si pour les deux prochaines années, ces types-là ne devaient pas écrire une ligne (ni être payés pour), ils ne seraient pas sur la paille, à moins évidemment qu’ils aient un quelconque problème de drogue, d’alcool ou de jeu.

Les scénaristes américains, du moins ceux qui travaillent pour le cinéma et la télé sur une base régulière, gagnent très bien leur vie, merci. Mieux que n’importe quel scénariste québécois, ça c’est sûr.

Prenez l’exemple de Marc Cherry, l’auteur de Desperate Housewives. L’année dernière, il a renouvelé son contrat avec le réseau ABC pour un modeste 10 millions. Sauf que, avant que ses beautés désespérées n’explosent sur le petit écran en 2004, Cherry était cassé comme un clou, au chômage et subsistait sur les dernières réserves d’un emprunt de 30 000 $ fait à sa mère. Il n’avait pas tout à fait 40 ans et pourtant, pour Hollywood, il était déjà un has been qui n’avait rien accompli de notable depuis les Golden Girls, 10 ans plus tôt. Après avoir essuyé une dizaine de refus en colportant sa série partout à Hollywood pendant deux ans, le vent a finalement tourné en sa faveur. Mais pour une histoire de scénariste qui finit bien, combien d’autres qui se terminent dans la pauvreté, la rancoeur et l’amertume?

La dernière grève des scénaristes à Hollywood a eu lieu il y a 20 ans. Elle a duré cinq mois et provoqué des pertes financières estimées à 500 millions. Il y a eu une fausse alerte en 2001, mais la grève fut évitée de justesse.

À l’heure où j’écris ces lignes, on ne sait toujours pas si la grève aura lieu bien qu’elle apparaisse de plus en plus inévitable (1). Et pour cause. Le paysage audiovisuel a radicalement changé depuis la dernière grève. Les accommodements que les scénaristes ont consenti en 1988 pour sauver une industrie en plein déclin ont enrichi tout le monde sauf les scénaristes. Il y a 20 ans, personne n’avait jamais téléchargé un film sur son ordinateur ou acheté ce même film en format DVD.

Il y a 20 ans, le cinéma en salle était encore la vache à lait de l’industrie. Aujourd’hui, le cinéma en salle est pratiquement perçu comme un outil promotionnel servant à mousser la location et la vente de DVD. Dans The Big Picture, une enquête sur le déplacement du pouvoir et du fric à Hollywood, l’auteur démontre que les milliards générés par les DVD sont devenus la principale source de revenus de l’industrie.

Même chose avec les téléchargements. Sachant cela, les scénaristes veulent à leur tour profiter de la manne. On les comprend. Actuellement, les scénaristes américains touchent 4 cents par DVD vendu et 1,2 % sur les profits des téléchargements. Ils demandent le double, soit 8 cents par DVD et 2,5 % des profits sur les téléchargements. Pour l’heure, rien n’indique qu’ils obtiendront gain de cause.

Pourtant, sans les scénaristes et sans les histoires qu’ils imaginent et construisent, l’édifice sur lequel repose tout Hollywood, s’écroule. Fini le cinéma, les téléséries, les talk shows de fin de soirée. Ne survivront que les quiz et les téléréalités, un régime sec qui finira par lasser même les plus abrutis.

Les scénaristes sont l’indispensable essence qui fait rouler la grosse voiture américaine. Mais ce qu’on ne dit pas assez souvent, c’est à quel point ils sont bons. Pas tous évidemment. Il y a aux États-Unis comme ailleurs des scénaristes sans talent. Mais quand ils sont bons, les scénaristes américains sont les meilleurs. Depuis le maestro des Sopranos, David Chase, jusqu’à l’architecte de Six Feet Under, Allan Ball, qui a aussi écrit l’extraordinaire scénario de American Beauty, en passant par Tony Gilroy (Bourne Identity et Michael Clayton), Charlie Kaufman, Gus van Sant, Billy Wilder, Mel Brooks, Woody Allen, Francis Ford Coppola et combien d’autres, les scénaristes américains demeurent la matière première la plus précieuse de Hollywood. Si les grands bonzes de l’industrie ne sont pas capables de le reconnaître, ils méritent la grève. Quant aux scénaristes, ils méritent une petite pause syndicale, histoire de profiter des voitures, villas, voiliers et caves à vin que leur talent leur a rapporté.

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(1) Le syndicat des scénaristes (Writers Guild of America, WGA) a donné son feu vert à 90  % à une grève si nécessaire.