La recension de Hitman, un film insignifiant qui n'aurait jamais dû bénéficier d'une sortie en salle, m'a valu la semaine dernière quelques commentaires outrés de la part de ceux qu'on appelle les gamers, les adeptes de jeux vidéo.

Ce n'est pas tant la teneur de cette critique qui les ont fait grimper dans leurs rideaux de feu (la plupart n'avaient pas vu le film de toute façon) que la petite phrase qui, dans le chapeau, tente d'en résumer le contenu.

Faisant d'une pierre deux coups, histoire d'évoquer à la fois l'absence d'une trame narrative digne de ce nom et la source d'inspiration du film, j'ai en effet eu le culot d'écrire ceci: «Autant de substance que dans un jeu vidéo». Ouille. Dans certains cercles, on ne l'a tout simplement pas pris.

À l'heure où même le premier ministre du Québec veut faire de Montréal le «Hollywood du jeu vidéo»; alors que se sont tenus coup sur coup dans notre cour le Festival Arcadia et le Sommet international du jeu (un beau bonjour à tout le monde), mettons que le timing n'était pas très bon. Et la formule un peu réductrice. N'empêche...

On a beau me rappeler que le vaste domaine du jeu vidéo constitue une industrie globale de plusieurs milliards de dollars et que celle-ci engendre de nombreux emplois, notamment à Montréal, je n'établis pas un lien direct avec la question de fond. Ce qui, remarquez, n'enlève quand même rien à l'aspect imaginatif de quelques-unes de ces créations virtuelles. Certains concepteurs travaillent d'ailleurs avec des budgets à rendre jaloux les gens de cinéma. N'a-t-on pas laissé entendre qu'une somme d'environ 20 millions de dollars aurait été investie dans la production d'Assassin's Creed, le jeu que les cracks d'Ubisoft ont peaufiné pendant quatre ans?

Même s'il fut tenté à maintes reprises d'importer sur grand écran quelques-uns des univers qui ont jeté dans l'extase des générations de gamers, j'attends toujours le film qui parviendrait à seulement dépasser, ne serait-ce que de peu, le degré zéro de la médiocrité sur le plan cinématographique.

Les Doom, Mortal Kombat, Resident Evil, Dungeons and Dragons et autres Hitman sont non seulement dénués de substance; ils sont affligeants. À vrai dire, on doit à Lara Croft les seuls films inspirés par un jeu vidéo à peu près passables. Et encore là, il n'y a vraiment pas de quoi crier au chef d'oeuvre. Les deux disciplines sont-elles à ce point incompatibles? Une fois transposé au cinéma, l'univers du jeu vidéo, amputé de son aspect interactif, devient-il forcément exsangue et si pauvre sur le plan de la dramaturgie?

Peut-être suis-je dans le champ. Cela dit, le seul fait qu'un premier symposium sur le «jeu sérieux» ait été organisé dans le cadre du récent Sommet international du jeu de Montréal m'indique qu'à l'intérieur même du milieu, on semble aussi parfois se demander où se trouve la fameuse substance...

Le final cut

Deux productions cinématographiques incontournables prennent l'affiche en salle ce week-end. L'une d'entre elles est une primeur (I'm not There de Todd Haynes); l'autre, une nouveauté d'à peine 25 ans d'âge.

En revoyant Blade Runner, l'extraordinaire adaptation qu'a réalisée Ridley Scott à partir d'un roman d'anticipation de Philip K. Dick, on ne peut s'empêcher de constater à quel point la quincaillerie a désormais pris le pas sur la narration dans le cinéma de science-fiction.

Il y a en effet peu d'effets spéciaux dans Blade Runner. Pourtant, l'imagination des artisans fait en sorte que le spectateur croit d'emblée à l'histoire qu'on lui raconte. Et le plonge dans une atmosphère inédite.

L'exercice est d'autant plus fascinant que le récit est campé en 2019. Au moment de la sortie du film, en 1982, l'époque décrite était aussi abstraite que celle à venir 1000 ans plus tard. Vingt-cinq ans plus tard, on y est presque.

Le parcours de Blade Runner n'est par ailleurs rien de moins qu'exemplaire. Le film n'avait pas du tout obtenu le succès escompté à sa sortie et pour cause. À l'époque, le studio avait en effet imposé à Ridley Scott un happy end qui, de l'avis même du cinéaste, était complètement ridicule.

Harrison Ford avait aussi été obligé d'enregistrer une narration en voix hors champ à laquelle il ne croyait visiblement pas. Dix ans plus tard, Scott a enfin pu remonter son film à sa manière et le présenter de nouveau dans les salles. On prête d'ailleurs au réalisateur d'American Gangster la paternité du concept du director's cut, un phénomène qui a explosé avec l'arrivée du DVD.

«Contrairement à la peinture, le cinéma est un art dont la matière peut être retouchée selon l'évolution des technologies, avait déclaré Ridley Scott à La Presse il y a quelques années. Il exige une supervision constante sur le plan de la qualité. Il s'agit d'une simple question d'entretien!»

Fidèle à sa nature, Scott a remis son film à niveau. Une copie restaurée, dans laquelle figurent notamment des scènes inédites, prend aujourd'hui l'affiche au Cinéma du Parc.

Il s'agit, paraît-il (vraiment?), de la version définitive. Même si cette version sera offerte en DVD le 18 décembre (dans des coffrets comprenant deux, quatre ou cinq disques), il vaut vraiment la peine de voir Blade Runner - The Final Cut sur grand écran.

Parce que la prochaine fois où l'occasion nous sera donnée de le voir en salle, le chef d'oeuvre de Ridley Scott se sera peut-être alors transformé en film d'époque...