En 1989, la Galerie Nationale du Canada a acquis une oeuvre du peintre américain Barnett Newman pour la modique somme de 1,8 million. Cette toile abstraite et immense, coiffée du titre Voice of Fire, se résumait à une bande rouge sur fond bleu. Point. Il n'en fallut pas plus pour que le porte-parole des fermiers de l'Ouest canadien se lève en Chambre et réclame un pot de peinture rouge en affirmant: «Moi aussi, je pourrais peindre ça.»

Dommage que le porte-parole des fermiers de l'Ouest canadien n'ait pas rencontré Marla Olmstead, 6 ans, une enfant d'une petite ville de l'État de New York, fille d'une assistante dentaire et d'un gérant d'usine de chips, qui a commencé à peindre à l'âge de 2 ans et qui a eu sa première expo à l'âge de 4 ans.

Qualifiée de mini-Picasso par les médias américains, y compris par le très sérieux critique d'art du New York Times, Marla est devenue du jour au lendemain une star du monde de l'art contemporain, ses tableaux s'envolant à 20 000$ pièce, jusqu'à ce qu'un reportage de l'émission 60 Minutes mette en doute ses capacités artistiques et l'intégrité de son père, un peintre du dimanche qui aurait tenu le pinceau à sa place.

Ce feuilleton tout à fait représentatif de l'époque des enfants-rois et de leurs parents vassaux et imprésarios, fait l'objet du fascinant documentaire My Kid Could Paint That qui vient de prendre l'affiche au cinéma AMC Forum 22. Fascinant parce qu'il y est question du pouvoir du marketing, de l'argent qui dénature l'art, de l'ambition excessive des parents modernes pour leur progéniture et du besoin pathologique de nos sociétés de croire aux petits génies. Bref, ce film est avant tout un film sur les adultes, pas sur la petite Marla, mignonne comme tout et qui refuse obstinément de peindre devant la caméra et encore moins de discuter de sa démarche esthétique, si tant est qu'elle existe.

Avec Marla Olmstead, la boutade voulant que le moindre barbouillage d'un enfant-roi soit accueilli comme un Picasso par ses parents est une réalité. Ses toiles accrochées en octobre 2004 dans un petit café de Binghamton, New York, ont d'abord attiré l'attention des clients, puis des médias locaux et finalement des grands médias nationaux. Or, ces oeuvres abstraites et bigarrées tiraient leur unique valeur du fait qu'elles avaient été prétendument peintes par une fillette de 4 ans. Sans cet élément human essentiel, sans cette arme de marketing massif, sans l'image touchante de cette toute petite fille assise en couches sur le canevas et faisant gicler la couleur d'un assortiment de tubes, la peinture sur les toiles aurait pu sécher pendant 100 ans sans que personne s'y intéresse. C'est la cruauté du marché de l'art contemporain, pour ne pas dire sa volatilité et sa fumisterie.

Reste que lorsque le cinéaste Amir Bar-Lev a entrepris le tournage du film, il était à mille lieues de se douter que Marla n'était peut-être pas l'unique auteure de ses toiles. Ce n'est qu'à partir du reportage de 60 Minutes que le doute s'installe. Comme les parents avaient confiance en lui et croyaient que son documentaire allait laver leur réputation ternie, ils ne l'ont pas chassé de leur maison. Au contraire. Le film documente donc leur chute brutale et leur disgrâce, mais aussi le désarroi du cinéaste qui cherche la preuve irréfutable que Marla a peint seule ses toiles et qui ne la trouve pas. À la fin, le doute subsiste, mais la vie continue. Marla a maintenant 6 ans. Elle vient de quitter la maternelle pour la grande école. Elle a une nouvelle exposition et des toiles qui se vendent à partir de 25 000$. Morale de cette histoire? Si jamais c'est vrai que tout se joue avant 6 ans, Marla n'est pas sortie du bois.