L'ami Lussier m'avait prévenu: tu vas détester Les chansons d'amour de Christophe Honoré. Un cinéphile averti en vaut deux. J'ai abordé cet ovni avec un scepticisme de bon aloi, doublé des appréhensions d'usage. Je ne suis pas fan de comédies musicales. J'ai très peu de dispositions pour les musicals de Broadway, une indulgence minime pour le chant au grand écran, voire une allergie probable aux «stepettes» de type Chicago.

En effet, je n'ai pas adoré Les chansons d'amour. Mais sans doute pas pour les raisons que mon perspicace confrère avait anticipées. Ce que j'ai préféré de ce drame musical... c'est sa musique. La nouvelle chanson française d'Alex Beaupain, à mi-chemin entre celles de Dominique A et de Vincent Delerm, m'a semblé particulièrement inspirée. Ambiances sonores envoûtantes, guitares éthérées, textes amusants, se fondant sans effort dans un récit malheureusement bancal.

Que tous les interprètes, sans exception, faussent comme Corneille m'a paru charmant. Comme du reste ces évocations de la Nouvelle Vague (le trio amoureux à la Jules et Jim; les mimiques de Louis Garrel rappelant celles de Jean-Pierre Léaud) et cet hommage avoué aux Parapluies de Cherbourg. À ma décharge, je ne suis pas complètement réfractaire à la comédie musicale: j'ai adoré le classique de Jacques Demy.

Par ses contre-emplois musicaux, Les chansons d'amour m'a aussi rappelé un récent film de Claude Duty, Filles perdues, cheveux gras, dans lequel Marina Foïs avait cette réplique (chantée) délicieuse: «Quand j'ai de la peine, je pense aux Kurdes, aux Tchétchènes. Quand je me trouve grosse, je pense à Demis Roussos.» Sans être du même genre ni du même registre (Filles perdues, moins ambitieux, était une franche comédie), les deux films partagent les mêmes forces (l'originalité de la forme) et faiblesses (un scénario plus ou moins achevé).

À mon sens, sans ses dialogues chantés, Les chansons d'amour serait un drame sentimental bien réalisé et bien joué, filmant amoureusement Paris, mais donnant au final un film presque convenu. J'aurais voulu m'attacher à ses personnages (Ludivine Sagnier en particulier), effleurés ou disparaissant trop vite, dont on saisit trop peu le parcours et la psychologie, comme je me suis épris des chansons qu'ils interprètent. L'ami Lussier dira que c'est déjà pas mal.

La génération Cobain

C'est aussi pour la musique que je me suis intéressé à Kurt Cobain: About A Son, documentaire minimaliste d'AJ Schnack sur l'idole du grunge, qui doit prendre l'affiche vendredi prochain. Je m'attendais à y retrouver, du moins par bribes, la trame sonore de la fin de mon adolescence. Pantoute. Du Bowie, du Queen, du Mudhoney, mais pas la moindre mesure d'une chanson de Nirvana. Question de droits de diffusion sans doute.

Qu'importe. La bande-son réalisée par Steve Fisk et Ben Gibbard (Death Cab for Cutie, The Postal Service) sert admirablement ce document atypique de 97 minutes, accompagnant d'images variées des extraits audio choisis parmi 25 heures de conversations entre Cobain et le journaliste Michael Azerrad, auteur du livre Come As You Are: The Story of Nirvana.

Ce documentaire pour fans avertis, avare d'images d'archives (quelques photos monochromes du groupe seulement), propose comme une tapisserie en mouvement les lieux fréquentés jadis par Kurt Cobain, dont on n'entend pratiquement que la voix, du début à la fin. Son village natal d'Aberdeen dans l'État de Washington, la petite ville d'Olympia où il s'est initié au punk, Seattle dont il a fait la renommée au début des années 90.

Kurt Cobain: About A Son se présente avantageusement comme un témoignage autobiographique «exclusif» du chanteur de Nirvana. Il s'agit davantage d'un film d'art limité par ses moyens (ceux du bord), inspiré par des déclarations moins «exclusives» qu'elles n'y semblent (les vrais fans apprendront peu de choses), d'autant plus qu'elles sont à prendre avec un grain de sel, Cobain ayant toujours eu une fâcheuse propension à la mythomanie.

N'empêche. Dans le cadre de ces entretiens uniques, réalisés entre 1992 et 1993, Kurt Cobain parle en détail de son enfance, de sa difficulté à s'intégrer à la société et de son ressentiment face aux autres membres de Nirvana, un groupe visiblement au bord de l'implosion. Il y fait quelques aveux (il consommait de l'héroïne par doses de 400$ par jour), fait état de ses idées suicidaires, de ses violents maux de ventre et de sa difficulté à apprivoiser sa célébrité. On le sent surtout amer et aigri, nourri d'une rage singulière pour les journalistes qui, dit-il, «écrivent à 99% n'importe quoi» sur sa relation avec Courtney Love et sur leur fille Frances Bean.

Devenu bien malgré lui le porte-étendard de la génération X (dont les médias ont beaucoup parlé cette semaine), Kurt Cobain a symbolisé par son suicide, le 5 avril 1994, à seulement 27 ans, la désillusion et le désenchantement de nombre de jeunes gens que l'on disait à l'époque «sans futur». «Nous avons en quelque sorte été la dernière génération d'enfants innocents, confie-t-il à son intervieweur. Nous regardions Sesame Street, nous vivions dans un monde de fantaisie où il n'y avait pas de violence. Mais les choses ont beaucoup changé.»

«Nous avons été les premiers enfants du divorce, ajoute Cobain. Ce n'est pas ce qui devait nous arriver. Tous ces parents qui se sont séparés alors que leurs enfants avaient 7 ans, et qui n'ont pas été foutus de s'entendre par la suite, ont détraqué les adolescents que nous sommes devenus. La plupart des gens de ma génération sont devenus très cyniques. Ils alternent aujourd'hui entre le sarcasme et l'émotion franche.»

L'ironie, c'est que c'est pour ça qu'on l'aimait, non?