Les fesses ont très mauvaise presse ces jours-ci. Honnies, bafouées, accusées de tous les maux que la terre engendre, les pauvres ont de plus en plus de mal à gérer leurs élans instinctifs. Et à s'exprimer sans honte. Même les ébats auxquels elles participent parfois ne peuvent même plus être nommés de façon frontale (comme dans «nudité frontale»)...

Non, n'insistez pas. Je ne reviendrai pas sur «l'affaire» Young People Fucking. Enfin si. Quand même un peu.

Il serait probablement inélégant de ma part d'affirmer ici que notre gouvernement réformiste-conservateur semble se complaire dans le ridicule d'une façon tellement grandiose qu'on en soupçonne presque de sa part une jouissance érotique collatérale et vaguement perverse. Alors je resterai élégant...

Le débat complètement insensé - et irrationnel - qui entoure l'ajout d'une nouvelle disposition dans le projet de loi C-10, au cours duquel le titre du film de Martin Gero a été cité en «exemple à ne pas suivre», est de toute façon trop désespérant pour qu'on s'y attarde ici.

En revanche, toute cette affaire suscite quand même des questions sur notre propre attitude face à la représentation du sexe au cinéma. Et, un coup parti, dans la vie en général.

Curieux, quand même, comment notre perception se modifie dès qu'une production artistique «légitime» tente d'aborder directement une thématique sexuelle. On parle alors tout de suite d'audace et de «facteur de risque». Dans un festival de cinéma, les premières séances qui affichent complet sont d'ailleurs généralement celles où les synopsis des films pour lesquels les festivaliers se disputent les places laissent deviner un propos sulfureux. Dès que l'oeil du cinéphile est attiré par une photo plus ou moins suggestive au gré d'une consultation dans un catalogue, le succès est habituellement quasi instantané.

C'est exactement ce qui est arrivé l'an dernier au Festival de Toronto. Les billets pour les séances de Young People Fucking se sont envolés le temps de le dire (ou de le faire), même si personne ne pouvait encore avoir la moindre idée de l'approche qu'emprunterait Gero, un cinéaste jusque-là parfaitement inconnu.

En passant, il convient d'ouvrir ici une petite parenthèse. Ceux qui iraient voir cette comédie sentimentale, qui prend l'affiche aujourd'hui, avec l'intention de s'émoustiller un peu n'auront pas vraiment de quoi stimuler leurs ardeurs. Comme l'écrivait très justement l'ami Cassivi récemment, le sexe qu'on nous montre dans YPF est «ontarien». Ce qui, en clair, veut dire qu'il est à peu près aussi excitant que la perspective d'un week-end de «cruise» à Barrie; aussi bandant qu'une partie de jambes en l'air à Oshawa. Fin de la parenthèse.

Je trouve quand même cette dynamique collective fascinante. Pourquoi la représentation du sexe frappe-t-elle autant notre imagination quand elle figure dans un film «normal» alors que la porno est devenue, à défaut d'être banale, parfaitement «intégrée» dans toutes les sphères de la société?

Car enfin, ne nous racontons pas d'histoires. La porno est partout. Et très souvent adulte et consentante. L'industrie du sexe ne serait pas aussi florissante s'il en était autrement. Elle est à deux clics de souris à peine. Elle s'impose soft à TQS et se commande hard à la carte. Elle se tient fin prête à la demande dans les motels sordides de banlieues tout autant que dans les palaces cinq étoiles, où elle y est offerte comme un service essentiel.

La porno se fait aussi violence dans le cinéma de Mel Gibson, acheteuse compulsive dans Sex and the City, sentimentale (et carrément offensante) dans les romans Harlequin, et intellectuellement revendicatrice chez Catherine Breillat. Elle influence tout, de la mode aux spectacles de lutte, en passant par les comportements intimes. Pourtant, on fait comme si elle faisait partie d'une autre réalité, d'une autre vie

Tiens, cela me rappelle un vieil épisode de Will&Grace. Will avait alors du mal à comprendre pourquoi son ami Jack s'énervait comme une puce le jour où, dans une série populaire diffusée à la télé, deux personnages masculins devaient s'échanger un baiser pour la première fois à l'écran. Will s'étonnait d'autant plus que, à ce qu'il laissait entendre, la collection privée de productions XXX que Jack gardait précieusement dans sa vidéothèque était déjà très riche en images joyeusement explicites. Ce dernier expliquait pourtant que cela n'avait rien à voir. Que pour la première fois, deux hommes allaient s'embrasser dans une émission diffusée sur un grand réseau, une émission que tout le monde allait regarder! En un sens, cette image traversait le seuil de l'interdit pour être désormais légitimée dans la culture populaire.

Telle est peut-être la nature de notre rapport collectif ambigu avec la représentation du sexe à l'écran. D'un côté, on nourrit la porno de nos propres fantasmes mais de l'autre, on freake dès qu'elle franchit la porte de notre jardin secret pour entrer dans notre vie quotidienne. D'où, peut-être, les hauts cris de nos gardiens de la bonne morale. Ne serions-nous pas un peu schizos par hasard?

Même si nos pauvres fesses ont de plus en plus de mal à se «dérider» (comme le chantait Brassens), nous sommes néanmoins parfois très drôles.