Enfin, on y est. Pour des millions d'admirateurs, c'est aujourd'hui le grand jour. Depuis minuit, The Dark Knight est à l'affiche partout en Amérique du Nord. La rumeur, déjà très favorable, s'est confirmée sur le plan critique. La nôtre, déjà en ligne sur moncinema.ca, sera d'ailleurs publiée demain dans le cahier Cinéma.

Partout, on célèbre du même souffle la vision d'un cinéaste, Christopher Nolan qui, il y a trois ans, a fait renaître de ses cendres une franchise moribonde. Grâce à Batman Begins, ce dernier a en outre pu remettre les compteurs à zéro. À mon avis, la grande réussite du réalisateur anglais est justement d'avoir su allier la notion de grand spectacle - propre aux superproductions du genre - à une véritable démarche d'auteur cinéaste.

Je pourrais évidemment ici m'attarder sur Heath Ledger. Dont la performance, dans le rôle du Joker, glace le sang. Et pas seulement à cause de la disparition tragique de l'acteur. Sa composition est d'une telle puissance - d'une telle finesse aussi - qu'on en oublie d'ailleurs assez rapidement le triste destin de l'homme pendant la projection.

Non. J'ai plutôt envie de vous parler d'Aaron Eckhart. Qui interprète dans The Dark Knight le rôle - crucial - du procureur Harvey Dent. Parce que jusqu'à maintenant, cet excellent acteur n'a jamais eu droit à la carrière qui lui était promise. Remarquez qu'il n'est pas à plaindre. On lui confie en effet souvent des rôles importants, dans des films parfois même intéressants, mais Eckhart n'a jamais atteint le statut de grande vedette. Du moins, pas celui que lui prédisaient bien des gens à Hollywood.

«Aaron est le prochain Harrison Ford!», m'avait même confié en 2003 le vétéran producteur David Foster (The Mask of Zorro, Collateral Damage) avant d'ajouter: «The Core devrait enfin faire de lui une véritable superstar!»

Oups...

Et c'est bien là le problème (si problème il y a, bien sûr). Révélé par le cinéma indépendant, particulièrement par les films de Neil Labute, dont il est l'acteur fétiche (il était saisissant dans la peau du parfait salaud d'In the Company of Men), Eckhart n'a jamais pu capitaliser sur les productions hollywoodiennes dont il était l'une des têtes d'affiche. The Core, Paycheck, The Missing, Suspect Zero, The Black Dahlia ont tous été des films ratés qui, avec raison, se sont lamentablement écrasés. Manque de flair? Entourage de malheureux conseil? Toujours est-il qu'Eckhart a toujours eu du mal à trouver le projet qui l'imposerait parmi les leaders de la profession.

Cela dit, ses participations dans des productions bien en vue (Erin Brockovich, The Pledge) lui ont évidemment été salutaires. L'acteur a aussi fait sa niche dans des oeuvres plus marginales. Thank You for Smoking et Conversations with Other Women en témoignent. On le verra aussi très bientôt dans Towelhead, la première réalisation pour le cinéma d'Alan Ball, scénariste d'American Beauty (et créateur de la série culte Six Feet Under).

Même s'il campe aujourd'hui un rôle important dans l'une des superproductions les plus en vue de la planète, Aaron Eckhart, qui a eu 40 ans cette année, préfère sans doute que les choses se maintiennent ainsi. Dans la mesure où il n'a aucune «image» à gérer, pas plus que de restrictions dans ses choix de rôles. Et vous pouvez être certains que, compte tenu des circonstances, il ne sera évidemment pas non plus celui dont on parlera le plus au cours des prochains jours. D'une certaine façon, il ne m'étonnerait guère qu'il en soit ravi.

Les mal chaussés

À l'annonce des nominations de la dernière Soirée des Jutra il y a quelques mois, j'ai écrit une chronique qui a semé l'émoi auprès de certaines personnes oeuvrant dans le milieu du cinéma. Dans cet article, intitulé «Cordonniers mal chaussés», je m'interrogeais sur le processus électoral du premier tour et les choix «faciles et paresseux» qui en découlaient. Au point où l'on pouvait même sérieusement se demander si les électeurs avaient pris la peine de visionner les 32 longs métrages en lice.

Mercredi soir à Bons baisers de France, l'humoriste et auteur Jean-François Mercier a candidement expliqué qu'il prenait lui-même les résultats de ces concours avec un grain de sel. Traçant un parallèle avec le gala des Olivier, Mercier a pris pour exemple le bulletin qu'il reçoit pour les Jutra. «Je n'ai pas vu les trois quarts des films!», a-t-il affirmé avant de préciser qu'il n'exerçait pas son droit de vote. «Mais si je le faisais, je serais probablement porté à voter pour des chums où à des gens qui, à mon sens, pourraient le mériter. Alors ça vaut ce que ça vaut. Il ne faut pas juger sa carrière par rapport aux prix.»

Comme ne le pourrait probablement pas mieux dire Sir Paul lui-même, I rest my case...