Chalut les biloutes, cha va? Vin dious, vous ne pigez rien de rien? Ch'alors! Cheriez-vous des boubourses? Et chucheptibles auchi, ché mi qui vous le dis.

Si vous ne maîtrisez pas le ch'timi ou le ch'ti, un patois parlé dans le nord de la France, taillez vos crayons HB et ouvrez vos cahiers Canada, la leçon débute. Dans les prochains paragraphes, nous défricherons ensemble les rudiments de cette langue qui colore Bienvenue chez les Ch'tis, un film rigolo, humble, attendrissant et complètement dénué d'ironie, un peu à l'image de La grande séduction. Bref, un condensé de doux bonheur tranquille.

Maintenant, reprenons du début. Salut les mecs/amis, ça va? Franchement, vous ne comprenez pas? Ça alors! Seriez-vous un peu simples d'esprit? Et susceptibles aussi, c'est moi qui vous le dis.

Vous voyez? Le ch'ti ne déstabilisera pas les cinéphiles québécois, car plusieurs de ses inflexions sonnent comme le français parlé par nos arrière-grands-parents. Par exemple, «armonter» signifier remonter, comme dans: «Marcel, armonte tes culottes, franchement.» Les Ch'tis disent souvent «j'arais» au lieu de «j'aurais» et ponctuent leurs phrases de «hein?». Rien de bien nouveau chez nous.

La conjugaison des verbes en ch'ti s'apparente aussi à du vieux français et même à des tics de langage qui hachent encore notre parler courant. Au lieu d'employer la formule «ils sont partis», les Ch'tis préfèrent «i sont partis». Comme nous, parfois. Ou plutôt que d'annoncer «il faut que j'aille à l'épicerie», les Ch'tis balancent «i faut qu'j'alle» à l'épicerie. Comme nous, parfois.

N'en doutez pas: le film de Dany Boon résonnera très fort de ce côté-ci de l'Atlantique, où la question des accents régionaux et de nos rapports colonisés-colonisateurs avec la France alimentent encore de nombreux débats. Combien de fois avons-nous entendu les Français ridiculiser notre accent de bûcheron?

Combien de fois avons-nous râlé contre Thierry Ardisson, qui a suggéré à Nelly Arcan, en 2001, de perdre son accent canadien, pas sexy du tout. «C'est terrible, cet accent. On ne parle plus comme ça depuis le XVIIIe siècle», avait-il soufflé à l'auteure de Putain.

Surprise, M. Ardisson. Plusieurs de vos compatriotes, à trois heures de route de votre Paris doré, s'expriment encore avec ce joli patois du «XVIIIe siècle», pour vous paraphraser. Et ce ne sont pas des ploucs consanguins, des illettrés ou des paysans édentés. Quelle délicieuse ironie, non?

Comme les Ch'tis, les Québécois habitent un coin de pays où l'hiver forge et endurcit le caractère. Comme les Ch'tis, les Québécois, accueillants et généreux, vivent avec la réputation d'avoir le coude bien huilé. Et comme les Ch'tis, les Québécois en ont ras la tomate de servir de véhicule à divers préjugés tout aussi tenaces que stupides.

Avec son savoureux Bienvenue chez les Ch'tis, le cinéaste et acteur Dany Boon nous offre une occasion en or de se payer la gueule des Français. Pas de tous les Français. Mais bien de ceux qui s'imaginent qu'aucune forme de vie, autre qu'indigène, n'est possible au-delà des frontières tracées par le périphérique parisien.

Le mot ch'timi provient de la contraction des expressions ch'est ti, ch'est mi, qui signifient c'est toi, c'est moi. Contrairement au français d'ici, celui parlé à Bergues, ancienne cité minière du Nord-Pas-de-Calais, chuinte joyeusement. Dans une scène du film se déroulant au restaurant, vous entendrez un des personnages se pâmer: «Ichi, ché pas les spéchialités qui manquent.»

En ch'ti, on mâche les syllabes, on écrase des mots et on escamote des pronoms. On dit «ma vélo» plutôt que «mon vélo». On mange à la baraque à frites. On flatte le kien, plutôt que le chien. On brait au lieu de pleurer. On vit d'achichtanche chochiale et non du BS. On boit du mirobière. On monte l'son. Et on salue «eul facteur», un peu comme dans Les belles histoires des pays d'en haut.

Véritable phénomène de société, Bienvenue chez les Ch'tis a déridé la France souvent snobée par le cinéma et la télé, soit celle des campagnes, des villages et des régions. Un peu comme Séraphin, qui a ramené dans les salles une clientèle plus âgée et dispersée aux quatre coins du Québec.

En terminant, un quiz éclair, pour évaluer votre connaissance du ch'ti. Si les Ch'tis transforment en «ch» tous les sons sifflant en «s», comment dit-on «scier du bois» en patois du Nord? Bon, d'accord: ch'est une blague fachile et chtupide. Oubliez cha. Et bon chinéma, les biloutes!