C'est un grand cliché de la littérature moderne. Un grand cliché tout court. L'étudiante éperdument amoureuse de son professeur. Souvent, ce professeur enseigne la littérature. Quelque chose à voir avec le pouvoir séducteur des mots, il faut croire. Les auteurs ont de la suite dans leurs fantasmes, à défaut d'idées plus originales.

Le cinéma, de tout temps, s'est aussi intéressé au phénomène. Il s'y intéresse ces jours-ci. Le très réussi Banquet, du Québécois Sébastien Rose, film choral campé dans le milieu universitaire, met en scène un professeur de scénarisation de l'UQAM (Alexis Martin) qui repousse les avances insistantes d'une étudiante. Un de ses collègues (Paul Savoie) semble en revanche avoir succombé aux charmes de la «relation parascolaire», pour le meilleur et pour le pire. «C'est elle qui corrige ses copies d'examen!» s'indigne Bertrand, le personnage qu'interprète Martin.

Elegy, de l'Espagnole Isabel Coixet, d'après une nouvelle de Philip Roth, repose essentiellement sur le rapport maître-élève devenu relation amant-maîtresse. Ben Kingsley, en professeur émérite et vedette médiatique, séduit sa jeune étudiante (Penélope Cruz) en dissertant sur des tableaux de Goya. Elle est belle comme le jour. Il est vieux, petit et chauve. On imagine qu'il a d'autres qualités. C'est un séducteur en série. Leur idylle improbable, filmée avec sensibilité par la cinéaste de My Life Without Me, inspire une réflexion sur les rapports de force amoureux et les scrupules qui les accompagnent.

Alors qu'Elegy pose un regard profondément féminin sur la relation prof-étudiante (à l'instar de Bordeline de Lyne Charlebois), La fille coupée en deux de Claude Chabrol est une variation indiscutablement masculine sur l'amour au temps du troisième âge avec une jeune femme en fleur. Le film, à l'affiche aux États-Unis, est toujours en attente de distribution chez nous (une absurdité). Dans ce Chabrol au charme suranné, François Berléand incarne un auteur estimé et coureur de jupons notoire qui prend pour amante une femme (Ludivine Sagnier) assez jeune pour être sa fille. Elle est belle comme le jour. Il est vieux, libidineux et bedonnant. On imagine qu'il a d'autres qualités

Je m'arrête tout de suite. Quelles autres qualités? Franchement, il faudrait qu'on m'explique.

Gandhi peut se rhabiller

Il fut un temps où Woody Allen, qui ne rajeunit pas, jouait lui aussi les tombeurs dans ses films (et pas seulement ses films) avec des femmes ayant l'âge d'être sa fille (ou étant, pratiquement, sa fille). Voir Charlize Theron fondre d'extase devant Woody semblait encore plus sordide que de voir Penélope Cruz s'envoyer en l'air avec Gandhi ou Ludivine Sagnier tailler une pipe au sosie français du capitaine Bonhomme.

L'intelligence, l'éloquence et l'expérience sont sans doute de redoutables outils de séduction, soit, mais il y a toujours bien des maudites limites (comme dirait ma mère). Heureusement, Woody, par respect pour son public, ne se donne plus les rôles de Casanova. Dans son nouveau film, le très amusant Vicky Cristina Barcelona (à l'affiche le 19 septembre), c'est Javier Bardem, sans doute l'un des acteurs les plus sexy du cinéma actuel, qui séduit, simultanément, Penélope Cruz, Scarlett Johansson et Rebecca Hall. Excusez du peu. Gandhi peut aller se rhabiller.

L'accent sur le québécois

Ma chronique de la semaine dernière sur le faible rayonnement du cinéma québécois à l'étranger m'a valu plusieurs courriels, dont celui d'une fan belge de Roy Dupuis. «Je dévore tous ses films disponibles en DVD et, grâce à l'internet, je connais maintenant tous vos comédiens, m'écrit Michèle Brunel. Une petite réflexion s'impose toutefois à mon esprit: comment diable vos films pourraient-ils percer en francophonie sans un doublage en un français qui soit compréhensible à nos oreilles, ou sans une V.O. sous-titrée en français (chose que la plupart des gens n'aiment pas trop), ce qui ôterait inévitablement une grande part d'authenticité à votre identité québécoise. Que c'est triste pour une fana comme moi de ne pas comprendre plus de la moitié des dialogues et de pouvoir juste deviner ce qui se dit... Un des problèmes ne réside-t-il pas dans ce simple fait? Le pur québécois ou un accent québécois trop prononcé est insupportable à nos pauvres oreilles européennes et fait fuir la plus grande partie du public qui pourrait éventuellement s'y intéresser.» À méditer, que ça nous plaise ou pas.


La graine de la colère

Il y a plusieurs semaines, je vous ordonnais d'aller voir La graine et le mulet, petit bijou d'Abdellatif Kechiche, qui reste ce que j'ai vu de plus abouti au cinéma en 2008. «Si vous êtes cinéphile, si vous prétendez réellement aimer le septième art, vous irez voir La graine et le mulet», que je vous disais. Certains m'ont pris au premier degré. Et pas à peu près.

Cette semaine, j'ai reçu une énième lettre virulente de lecteur outré, me réclamant presque le remboursement de son billet.

«Je n'étais pas un lecteur assidu de vos chroniques, m'écrit M. Turbide. Je le serai encore moins depuis votre ordre lancé pour qu'on aille voir le film le plus niaiseux jamais tourné, cette histoire archi plate de La graine et du mulet. () Si c'est le genre de cinéma que vous aimez, un amateur de bonnes histoires et de bons films ne mérite pas de consacrer du temps à lire vos critiques d'intello.»

Ben cou'donc, comme dirait l'ami Lussier. Il y a un moment que j'avais vu un film diviser de manière aussi distincte «ceux qui adorent» et «ceux qui détestent». D'autant plus que chez «ceux qui détestent», il y a aussi deux camps qui me reprochent mon enthousiasme pour La graine et le mulet: «ceux qui détestent et estiment que le cinéma doit divertir» (M. Turbide, entre autres) et «ceux qui détestent et se considèrent cinéphiles» (les plus vexés d'entre tous). Chers lecteurs, ce que vous pouvez être susceptibles.