Conseil d'ami: prévoyez une pause pipi avant de vous caler dans le fauteuil du cinéma, car le dernier Spike Lee, Miracle at St. Anna, dure près de deux heures et demie. Et vous savez quoi? C'est probablement un de ses meilleurs films des dernières années.

Pour ceux qui connaissent bien le prolifique cinéaste noir, autant il peut nous toucher (Malcolm X, Do the Right Thing, 4 Little Girls), autant il peut carrément nous gazer (Bamboozled).

Dans Miracle at St. Anna, un drame de guerre peu conventionnel, Spike Lee braque sa caméra sur les Buffalo Soldiers, une unité d'Afro-Américains qui a été parachutée (et abandonnée) en Toscane, en août 1944. Attaqués subrepticement et sauvagement par les Allemands, les Buffalo Soldiers réclameront des renforts, qui ne viendront jamais, l'état-major blanc de l'armée américaine ignorant leurs cris et leurs S.O.S. Pourquoi gaspiller des ressources militaires pour sauver une pauvre «bande de nègres» ?

Spike Lee a bricolé Miracle at St. Anna pour démolir le «stupide mythe» des films de guerre de John Wayne, où un homme blanc «botte le cul des nazis et des Japonais» tout seul, a dénoncé le cinéaste en conférence de presse au dernier Festival du film de Toronto.

Les Buffalo Soldiers ont péri sous les tirs d'une division allemande. Tous sauf quatre (Train, Bishop, Stamps et Negron), coincés derrière les lignes ennemies. Ils se réfugient dans un petit village assiégé, où ils tissent des liens solides avec les habitants, qui les intégrent à leur train-train quotidien. Ici, Blancs et Noirs cohabitent sans anicroche. Tout un changement avec leur pays, les États-Unis, où règne la ségrégation raciale.

C'est ici que Miracle at St. Anna, projeté en première mondiale à Toronto, explore des enjeux cruciaux: ces soldats noirs continueront-ils à se battre pour un pays qui les a largués en raison de la couleur de leur peau? «Je ne dirai pas aux gens quoi penser. Outre le racisme, c'est un film qui aborde plusieurs thèmes: le fascisme, la guerre civile, les conflits en Italie», confie Spike Lee, toujours articulé, concis et posé en entrevue.

Avant d'être mis sur pellicule, Miracle at St. Anna a d'abord été un livre signé James McBride et inspiré d'une histoire vraie, celle de la 92e division d'infanterie de l'armée américaine (les Buffalo Soldiers, tous des Noirs).

La distribution du film, tourné en anglais, en italien et en allemand, ne comporte pas d'acteurs très connus: Derek Luke, Michael Ealy, Laz Alonso et Omar Benson Miller forment le quatuor de rescapés. Du côté européen, vous reconnaîtrez peut-être Pierfrancesco Favino, vu récemment dans Les chroniques de Narnia: Le prince Caspian, de même que Valentina Cervi, découverte dans The Portrait of a Lady et Rien sur Robert.

Spike Lee ne s'en cache pas: il a bûché pour boucler le financement de Miracle at St. Anna. Pas évident de convaincre des grands studios quand on ne s'appelle pas Steven Spielberg ou George Lucas et que notre film ne concerne pas un superhéros, a-t-il ironisé. Des investisseurs italiens y ont finalement injecté près de 20 millions de dollars. Un vrai miracle.

«Les Buffalo Soldiers ont changé l'histoire du monde. Ils ont aidé les États-Unis à gagner la guerre et à libérer l'Italie. Leur histoire est beaucoup plus grande que ce que l'on pourrait croire», s'est emballé Laz Alonso, qui joue Hector Negron, l'opérateur radio.

Spike Lee opine: «J'ai fait ce film pour mes enfants et mes petits-enfants. Ces soldats sont une partie de notre histoire qui nous amène aujourd'hui à Barack Obama», souffle-t-il.

Le titre du film réfère à un massacre que les nazis ont perpétré à Sant'Anna di Stazzema, le 12 août 1944. Au total, 560 villageois toscans, dont des bébés et des vieillards, y ont été fusillés. Dans Miracle at St. Anna, un des Buffalo Soldiers - Sam Train, le «géant de chocolat» - prend sous son aile un rescapé de la boucherie.

«La Deuxième Guerre mondiale, ce n'est pas seulement ceux qui avaient des armes qui l'ont faite. Les femmes italiennes nourrissaient les soldats et les cachaient des nazis. À l'époque, leurs maris étaient tous partis au front et ces Italiennes ont été dépossédées de leur féminité. Quand les Buffalo Soldiers sont arrivés au village, elles se sont senties vivantes de nouveau. Enfin, on les regardait d'une autre manière», relate Valentina Cervi dans un anglais impeccable.