Le cinéma québécois a beau être jeune, son histoire reste méconnue. C'est pour la rappeler à notre mémoire que Georges Privet, réalisateur, ancien critique et passionné de cinéma, a travaillé plus de trois ans sur l'excellente série Cinéma québécois, que diffuse depuis quelques semaines Télé-Québec (les mercredis à 21h).

«Nous sommes à une époque où le public a soudainement repris goût à son cinéma, dit-il. C'est l'occasion de dire aux gens de revisiter leur cinématographie. Si l'on peut donner envie à quelqu'un de voir ou revoir À tout prendre ou Le chat dans le sac, on aura atteint notre objectif.»
Georges Privet a réalisé quelque 150 entrevues avec des cinéastes, acteurs, producteurs et sélectionné plus de 400 extraits de films québécois parmi les plus marquants, aux fins de ce projet ambitieux. La réalisation est dynamique, le rythme soutenu, le ton, tout sauf académique.


La série Cinéma québécois, produite par Claude Godbout (le héros du Chat dans le sac), s'articule autour de 13 thèmes essentiels du cinéma québécois, parmi lesquels la politique, la famille et l'identité. Ces thèmes, souligne Privet, se sont imposés d'eux-mêmes et reflètent les principales préoccupations de notre cinéma. «La famille est LE sujet d'or du cinéma québécois», remarque la cinéaste Micheline Lanctôt dans un épisode qui sera diffusé le 5 novembre.


Cette série fascinante aborde aussi des thèmes moins usités, comme la télévision (»le frère jumeau du cinéma québécois», selon Privet) ou le désir. «Après la période des films de fesses, on a connu un grand vide. C'est étonnant de constater à quel point on parle de sexe au cinéma québécois sans trop en voir», constate le réalisateur.


Cinéma québécois est un condensé de 60 ans d'histoire d'une jeune cinématographie qui n'a pris son réel envol qu'avec Claude Jutra. Georges Privet s'est entretenu avec la «bande de l'ONF» (Michel Brault, Jean-Pierre Lefebvre, Denys Arcand, Fernand Dansereau, etc.) qui s'est révélée dans le sillage du père fondateur de notre cinéma moderne.


Denys Arcand l'affirme sans ambages: il n'est pas nostalgique des «belles années» de l'ONF. Cette époque où l'on pouvait obtenir l'aval d'un producteur en deux phrases et passer neuf mois dans une salle de montage semble davantage regrettée par les jeunes cinéastes d'aujourd'hui. Georges Privet n'en est pas étonné: «L'ONF a fait l'envie de cinéastes partout dans le monde, de Truffaut à Godard, en passant pas Polanski. Aujourd'hui, on a troqué le rayonnement international contre le succès local.»


Sur l'état actuel du cinéma québécois, en perte de vitesse au box-office, Georges Privet pose un regard lucide, dont il sera question dans le dernier épisode de la série, «L'âge de la performance». «La bulle spéculative ne pouvait pas durer, dit-il. La visibilité du cinéma auprès du grand public a un prix. Il n'y a plus autant d'expérimentation, plus autant de recherche. On ne retrouve plus le même climat de liberté. La situation des cinéastes est moins enviable. Il faut écrire au détail près son scénario pour qu'il soit accepté, puis le tourner et le monter dans des délais très courts. La situation a été inversée.»


La liberté semble aussi moins grande en ce qui concerne les sujets abordés par le cinéma d'aujourd'hui, croit Georges Privet. Les films ne sont peut-être plus interdits comme l'ont été à l'époque On est au coton d'Arcand ou 24 heures ou plus de Gilles Groulx, mais la censure s'exerce en amont de manière plus pernicieuse. «Pierre Falardeau et Denys Arcand, qui sont des cinéastes aux points de vue différents, m'ont tous deux dit qu'aujourd'hui, il n'y avait plus de censure parce que tout le monde savait ce dont on ne doit pas parler.»


C'est la raison pour laquelle il se fait de moins en moins de cinéma à caractère sociopolitique, selon Privet. «Les producteurs n'ont plus envie de travailler trois ou quatre ans sur des films que les institutions n'accepteront pas de financer, dit-il. C'est une forme d'autocensure.»
L'avenir du cinéma québécois est-il sombre? Certainement pas pour Georges Privet. Il prépare actuellement son premier long métrage de fiction...


La Main à l'envers


C'est le genre de détail que remarquent les rats de cinémathèque. En lisant le reportage sur le cinéma et la Main de mon collègue Jean-Christophe Laurence, j'ai repensé à une scène d'Un zoo la nuit de Jean-Claude Lauzon, tournée sur le boulevard Saint-Laurent. On y voit Gilles Maheu roulant à moto sur la Main.

L'anecdote du rat de cinémathèque? Il roule à contresens, vers le sud. Mais la prise de vue, sous le viaduc Van Horne, est magnifique.
C'est pas rien


C'est pas moi je le jure!, à l'affiche depuis hier, est le plus cinématographique des films de Philippe Falardeau. Son film le plus contemplatif aussi. Fait de silences et d'images fortes, qui guident un scénario moins touffu que ceux de Congorama et de La moitié gauche du frigo.
On y retrouve de manière plus subtile l'humour doux-amer de Falardeau, par fines touches successives, dans la répétition délibérée des thèmes. Le réalisateur s'y démarque davantage que le scénariste, d'où cette impression de flottement à mi-parcours du récit.


C'est pas moi, je le jure! est néanmoins une adaptation réussie du livre de Bruno Hébert (et du roman Alice court avec René). La reconstitution d'époque est parfaitement crédible, le jeu des acteurs très précis, la réalisation d'une grande fluidité. Antoine L'Écuyer se révèle dans le rôle du jeune Léon Doré, qui fait les 400 coups, un peu à la manière d'Antoine Doinel chez Truffaut.


Falardeau n'est pas Truffaut. Mais C'est pas moi, je le jure!, un bon cru dans une filmographie déjà riche, démontre l'étendue du registre et de la grammaire cinématographique de ce cinéaste de talent. C'est pas rien.