À Los Angeles, on ne compte plus les immenses panneaux montrant Nicole Kidman et Hugh Jackman qui s'enlacent fiévreusement dans un décor évoquant les grands drames romantiques à l'ancienne, façon Autant en emporte le vent.

Au dessus de leurs (belles) têtes, un seul mot, aussi énorme que le continent où se déploie le nouveau film de Baz Luhrmann: Australia. Du coup, je me suis mis à sourire. Oserait-on imaginer une superproduction de plus de 100 millions de dollars, viable sur le marché international, intitulée, je ne sais pas moi, Canada?

Keanu Reeves embrassant langoureusement Pamela Anderson au pied d'un pin Douglas de la Colombie-Britannique? Kiefer Sutherland pourchassant un bison (avec son flingue) dans une plaine de la Saskatchewan en compagnie de Sarah Polley? Paul Gross tombant amoureux de Caroline Dhavernas dans un bled albertain pendant la guerre? Oh non, c'est vrai, ce film-là existe. Il s'appelle Passchendaele...

L'équipe d'Australia, qui s'apprête à rencontrer aujourd'hui les membres de la presse nord-américaine, rentre tout juste d'une tournée de promotion locale qui, dans le pays d'en dessous, a pris les allures d'un véritable événement national. Lors d'une conférence de presse à Sydney, Nicole Kidman a d'ailleurs déclaré qu'elle n'avait jamais pensé pouvoir un jour jouer dans un film australien de cette envergure. «C'est le genre de chose qui n'arrive qu'une fois dans une vie!» a-t-elle lancé.

En présentant son drame épique lors d'une soirée de première évidemment très courue dans la métropole australienne, Baz Luhrmann a simplement dit: «Ceci est votre Australie». Sous la plume de la journaliste Claire Sutherland, on pouvait lire dès le lendemain sur le site web du Herald Sun (Melbourne) qu'Australia est «une lettre d'amour aux paysages australiens et à notre histoire.»

Au-delà de la fibre patriotique, les observateurs australiens voient dans ce film, le plus ambitieux et le plus cher jamais produit chez eux *, la possibilité de remettre leur industrie du cinéma sur ses rails. Le contexte a en effet bien changé depuis l'époque bénie où la cinématographie australienne, poussée par les Peter Weir (Gallipoli, The Year of Living Dangerously), Jocelyn Moorehouse (Proof), Paul Cox (A Woman's Tale, Innocence), Ray Lawrence (Lantana), Scott Hicks (Shine) et compagnie, était l'une des plus prisées sur la scène internationale.

Mais, un peu comme nos amis canadiens anglais, les artisans australiens sont vite récupérés par Hollywood. Et il y a plus. Le réalisateur Stephen Elliott, qui a peu tourné depuis The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert, évoquait un autre écueil au cours d'une entrevue qu'il m'accordait il y a quelques années à l'occasion de la sortie de Eye of the Beholder.

«Alors qu'auparavant, nous tenions à tout prix à garder notre identité, voilà que depuis quelques années, on tente simplement d'imiter les Américains, disait-il. Ces derniers se sont d'ailleurs installés et se tournent vers nous pour concevoir leurs grandes productions. La Fox a construit un studio gigantesque à Sydney. Comment voulez-vous, après, produire un film d'auteur australien alors que tous nos techniciens sont occupés par les grandes productions hollywoodiennes? La situation est terrible en ce moment. Notre cinéma risque de disparaître.»

Le contexte économique a fait en sorte que les tournages de superproductions se font aujourd'hui plus rares qu'à l'époque où Elliott a lancé ce cri d'alarme. Mais un fait demeure: les films australiens ne constituent plus la «saveur du mois», les cinémas chinois, iraniens, mexicains, coréens, et autres, s'étant aussi imposés favorablement auprès des cinéphiles.

Une lourde responsabilité pèse ainsi sur les épaules de Baz Luhrmann, un cinéaste atypique, révélé à l'orée des années 90 grâce à Strictly Ballroom, et dont Australia constitue le premier film depuis Moulin Rouge. Non seulement le milieu du cinéma «aussie» semble voir en lui un sauveur, mais l'industrie récréative compte aussi sur son film pour relancer le tourisme dans un pays isolé où la population dépasse à peine 23 millions d'habitants.

Comme l'a écrit Vicky Roach dans le Daily Telegraph (Sydney), Australia évoque «un endroit qui, même pour nous, citadins vivant sur les côtes, n'existe que dans notre imagination.»

N'est-ce quand même pas déjà un bon point de départ?

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* Le budget d'Australia est estimé à 130 millions de dollars US. Le film de Baz Luhrmann prend l'affiche mercredi.