J'aimerais sincèrement que Joaquin Phoenix parle à Mickey Rourke. Sérieux, Joaquin, appelle Mickey. Aie une bonne conversation avec lui. Il te dira probablement que cette idée d'abandonner ta carrière d'acteur n'est peut-être pas la meilleure. Surtout quand on dispose d'un talent exceptionnel comme le tien.

Il t'expliquera aussi, peut-être, qu'il faut ensuite plusieurs années pour se remettre d'un suicide professionnel. Et qu'il est difficile de retrouver le chemin des plateaux de cinéma quand, un jour, le désir renaît. Parce qu'il renaît toujours. Inévitablement.

Dimanche dernier, en compagnie d'un petit groupe de journalistes, j'ai eu la chance d'échanger quelques propos avec Mickey Rourke. Il était dans une forme resplendissante. Et d'une sincérité désarmante. Au point où - c'est la première fois de ma carrière que j'assistais à une telle scène - nous nous sommes spontanément mis à l'applaudir une fois l'entretien terminé.

Partout dans les médias, on parle du «grand retour» de Mickey Rourke. À 52 ans, l'acteur livre une performance époustouflante dans The Wrestler *, le nouveau film de Darren Aronofsky, pour lequel il a obtenu hier une nomination aux Golden Globes dans la catégorie du meilleur acteur dramatique. À mon avis, il est le plus sérieux rival de Sean Penn.

Dans ce drame dur et bouleversant, Rourke incarne un lutteur professionnel qui était au sommet de sa gloire dans les années 80, lourd 20 ans plus tard de ses dégâts intérieurs. Forcément, le rôle a profondément résonné dans l'esprit de l'acteur. Qui, grâce à ses fortes présences dans Diner, Rumble Fish et autres Angel Heart, a vite atteint le statut de successeur incontesté de James Dean et de Marlon Brando. On avait du mal à croire qu'en quelques années à peine, cet acteur remarquable s'était transformé en has been pathétique qui tournait n'importe quoi.

Puis un jour, Rourke a annoncé qu'il abandonnait sa carrière d'acteur pour devenir boxeur. Il en a pris plein la gueule.

«Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, analyse celui que plusieurs considèrent comme le meilleur acteur de sa génération. Je n'ai personne d'autre à blâmer. Mon comportement était tellement autodestructeur qu'aucun cinéaste n'avait plus envie de me faire travailler. Et même si aujourd'hui, j'ai remonté la pente et mis un peu d'ordre dans ma vie, les dommages sont tellement importants qu'il faudra plus qu'une bonne performance dans un bon film pour que les propositions intéressantes reviennent.»

Rourke pensait se remettre de sa vie de «drogue et de rock'n'roll» en une année ou deux. Il lui en aura fallu plus de 10. Il dit devoir sa «résurrection» à des gens qui, malgré tout, ont continué à faire appel à ses services, ne serait-ce que pour de petits rôles.

«Ce sont habituellement des cinéastes plus jeunes qui apprécient les films que j'ai tournés au début de ma carrière, précise-t-il. Sean Penn m'a fait jouer dans The Pledge. Robert Rodriguez (Once Upon a Time in Mexico, Sin City) m'a aussi beaucoup aidé.

«J'ai touché le fond de la même manière que le personnage que j'interprète dans The Wrestler. À la différence que j'ai eu la chance d'avoir parfois dans mon entourage des gens qui ont pu me donner un coup de pouce à une époque où je ne parvenais même plus à trouver un agent pour me représenter!»

Darren Aronofsky (Pi, Requiem for A Dream) a d'ailleurs dû se battre pour imposer l'acteur auprès des financiers. À une certaine étape du projet, Rourke fut même «tassé» au profit d'un acteur plus «rentable», Nicolas Cage. Aronofsky a alors modifié ses plans et devis de façon à ce que le budget du film soit réduit de façon significative. Les producteurs n'avaient plus d'autre choix que de s'incliner. «Ironiquement, The Wrestler n'existerait probablement pas aujourd'hui autant sur le plan médiatique sans la présence de Mickey!» a déclaré le cinéaste.

«Quand cet épisode est arrivé, raconte Rourke, Nicolas a quand même eu la délicatesse de me téléphoner. Il voulait ma bénédiction avant d'accepter le rôle. Je ne pouvais pas faire autrement que de la lui donner».

Lucide quant aux considérations économiques qui entrent en ligne de compte dans pareilles circonstances, l'acteur précise qu'il ne pouvait certainement pas en vouloir à son remplaçant. «Mais c'est sûr que ça fait mal, ajoute-t-il quand même. Quand ça fait 15 ans que tu joues sur le banc, tu ne peux faire autrement que de commencer à croire que ta carrière est vraiment finie. Le plus difficile est de répondre tous les jours aux inconnus que tu croises et qui te demandent pourquoi tu es disparu.»

«Je sais, poursuit-il, que j'ai fait de belles choses il y a 20 ou 25 ans, mais ces bons souvenirs de cinéphiles ne peuvent désormais plus payer mon loyer. Aujourd'hui, je vais bien. J'ai le goût du cinéma et j'ai envie que de bons cinéastes me fassent travailler. Je suis prêt à me mettre entièrement à leur service, et à leur éviter les difficultés que j'ai pu leur causer dans le passé. Mais la route est lente. Et elle est longue.»

Joaquin, appelle Mickey je te dis. Ça presse.

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* The Wrestler prend l'affiche à Montréal le 26 décembre et plus tard en janvier au Québec.