Il n'y a pas si longtemps, nous ne faisions encore aucune distinction entre le cinéma américain et le cinéma hollywoodien.

La dynamique était fusionnelle. Et témoignait d'une envie de construire un cinéma qui pouvait rallier tous les publics, satisfaire toutes les exigences. Dès sa création, Hollywood s'est imposé d'office comme un point de rencontre, un antre privilégié où pouvaient se cristalliser les visions de toute nature, sans discrimination.

À l'époque où j'ai commencé à m'intéresser au cinéma (ça commence à faire un petit bail quand même!), Francis Coppola était au zénith de la profession. Le réalisateur du Parrain faisait d'ailleurs rager les bonzes des studios en étirant jusqu'au déraisonnable le tournage d'Apocalypse Now, un projet ambitieux qui semblait se diriger tout droit vers la catastrophe.

Martin Scorsese était alors un jeune loup qui, de Mean Streets à Raging Bull, en passant par Taxi Driver, était en train de modifier l'image que l'Amérique se donnait d'elle-même au grand écran.

Pendant ce temps, deux surdoués hyperactifs, Steven Spielberg et George Lucas, redéfinissaient à eux seuls les notions du spectacle cinématographique. Pour tout dire, je leur en veux même un peu. C'est en effet à cause d'eux (ou grâce à eux, c'est selon) qu'Hollywood a développé son obsession pour les records, pour l'enflure, pour le gigantisme.

Depuis les succès de Jaws et de Star Wars, on ne s'abreuve désormais plus là-bas qu'aux statistiques qui, d'année en année, flattent l'ego hollywoodien dans le sens du gloss... D'où cette fracture qui, progressivement, s'accentue entre le cinéma américain de création, dorénavant porté par les «indépendants», et le cinéma issu des grands studios.

En fabriquant des produits sur le modèle d'une chaîne de malbouffe, en forçant ensuite le public à les ingurgiter grâce à un système de distribution planétaire en forme de rouleau compresseur, Hollywood a, d'une certaine façon, capitulé sur le plan de l'ambition artistique. Ce faisant, la cité la plus «glamour» du monde se récuse pratiquement du rôle qu'elle a joué pendant si longtemps dans l'imaginaire collectif mondial.

Cela dit, il serait bien triste de croire que le bon cinéma américain n'est maintenant plus qu'affaire du passé. Il existe. Mais Hollywood n'en a plus l'exclusivité.

Bien sûr, le mythe américain s'est façonné en grande partie à travers les images qu'en ont données les cinéastes. De John Ford à Robert Altman, ils ont été nombreux à tenter de cerner à l'écran l'âme de ce pays complexe et multiple.

Plusieurs d'entre eux, venus d'ailleurs, ont bien su raconter le pays en travaillant à l'intérieur même du système hollywoodien. Elia Kazan (Un tramway nommé désir) est né en Turquie; Frank Capra (It's a Wonderful Life) en Sicile; Mike Nichols (The Graduate) a passé son enfance à Berlin; Billy Wilder (Some Like it Hot) en Pologne; et Fred Zinneman (From Here to Eternity) a grandi en Autriche. Qu'on se le dise, Norman Jewison (In the Heat of the Night), James Cameron (Titanic) et Paul Haggis (Crash) sont même canadiens!

Pourtant, les visions de l'Amérique les plus intéressantes qu'il m'ait été donné de voir au cinéma ont souvent été orchestrées par des cinéastes étrangers qui n'ont rien à voir avec Hollywood. C'est d'ailleurs peut-être ce détachement qui leur permet d'offrir une interprétation qui relève à la fois du fantasme et de la réalité.

Quand les notes lancinantes de Ry Cooder se font entendre dans le sublime Paris, Texas de Wim Wenders, une parcelle d'américanité nous submerge. Combien de cinéastes ont atteint la grâce en remaniant le rêve américain à leur manière?

Les deux films que Roman Polanski a tournés aux États-Unis, Rosemary's Baby et Chinatown, figurent parmi les plus marquants du réalisateur du Pianiste. Milos Forman s'est échappé de sa Tchécoslovaquie assiégée pour s'attaquer à ce que l'Amérique a de plus viscéral à travers des films comme One Flew Over the Cuckoo's Nest, Hair et Ragtime.

Emir Kusturica a trouvé le moyen de transposer son univers éclaté dans Arizona Dream, une fable déjantée qui nous entraîne de l'Alaska à l'Arizona, offrant par la même occasion un regard inédit, tout aussi révélateur.

Avant Brokeback Mountain, dans lequel il pervertissait le symbole américain par excellence, le cowboy, le Taiwanais Ang Lee avait offert un portrait exemplaire de la société américaine des années 70 dans The Ice Storm.

À tel point que certains observateurs avaient presque du mal à croire qu'un cinéaste ayant grandi dans une société aussi différente, située à des milliers de kilomètres de la banlieue new-yorkaise, ait pu dresser un portrait aussi fin, aussi juste.

Ce sont les mêmes qui, quelques années plus tard, ont vertement critiqué Lars von Trier quand Dogville est sorti. Ils remettaient notamment en question la légitimité de la démarche d'un cinéaste qui n'a jamais mis les pieds aux États-Unis de sa vie.

Or, l'une des principales vertus du cinéma américain consiste justement en cette capacité à l'autocritique. Et aussi à cette faculté qu'il a de toujours s'enrichir du regard des autres. C'est cette idée de l'Amérique, bien réelle, qui est grande. C'est aussi cette Amérique-là que j'aime.