Une fois tous les trois ou quatre ans arrive un film inespéré qui secoue, bouleverse, rejoint des publics qu'il n'était pas censé rejoindre et fait l'unanimité autour de lui.

Entre les murs, du cinéaste français Laurent Cantet, est un de ces films. Gagnant de la Palme d'or à Cannes en mai dernier, qualifié de cadeau d'un puissant optimisme par Sean Penn, repêché par la grosse machine de distribution Sony, cette fiction déguisée en documentaire a de bonnes chances de se retrouver en nomination aux Oscars, section meilleur film étranger.

Pourtant, sur papier, le projet de filmer la vie d'une classe entre les quatre murs d'une école n'est pas nouveau. Il y a déjà eu Être et avoir, ce documentaire sur une école rurale de la France profonde qui célébrait la passion d'un instituteur de la vieille école. Chez nous, La classe de madame Lise, le documentaire de Sylvie Groulx tourné dans une école multiethnique de Parc-Extension, montrait les défis auxquels font face, dès l'enfance, les petits immigrés. Mais ces deux films, bien que très différents, présentaient en fin de compte une vision rassurante et presque idyllique de l'école, du moins de l'école primaire.

C'est tout le contraire avec Entre les murs, une fiction tournée à trois caméras dans une école secondaire du 20e arrondissement, à Paris. Moderne, urbaine, bigarrée, l'école Françoise-Dolto est aux prises aussi bien avec les affres de l'adolescence qu'avec l'intégration difficile des enfants d'immigrés qui se sentent exclus et ostracisés dans le pays où ils sont pourtant nés. Ce sentiment de rejet sera exprimé d'ailleurs avec une belle brutalité par Esmeralda, qui se dit Tunisienne même si elle est née en France: «De toute façon, y a pas de fierté à être Française.»

Plongée fascinante dans le monde de l'adolescence arrogante, immature, rebelle et un brin inculte, Entre les murs force notre admiration à l'égard des profs et tout particulièrement pour François Bégaudeau. Celui-ci, après avoir écrit le livre dont est tiré le film, joue son propre rôle et tente d'engager un dialogue de bonne foi avec des jeunes qui minent constamment son autorité. Aucun de ses élèves n'est acteur, mais tous jouent un rôle, souvent très éloigné de ce qu'ils sont dans la vie. C'est le cas de Franck Keita, qui interprète avec brio Souleymane, un jeune Malien par qui le drame arrive.

Reste que, en sortant de ce film captivant, ma première pensée n'a pas été pour Souleymane, mais pour tous les profs pris pour enseigner aux boules d'agressivité et d'indiscipline qui peuplent l'école aujourd'hui. Dire que ce film m'a rendue plus conciliante à l'égard des jeunes serait mentir.

Or, en rencontrant Laurent Cantet, de passage à Montréal, quelle ne fut pas ma surprise de constater que le but du cinéaste était précisément de nous faire mieux comprendre le mal de vivre de ces jeunes. «Oui, c'est vrai qu'ils sont chiants, arrogants et immatures, mais qui ne l'a pas été à leur âge? Et puis avez-vous vu toute la curiosité et la lucidité dont ils sont capables?»

Pour le cinéaste, l'école n'est pas un refuge à l'abri du monde, mais au contraire une caisse de résonance de la société. Par conséquent, il croit que l'école doit tenir compte des problèmes particuliers que vivent les élèves dans leur famille comme dans la société.

Pourtant, ce qu'il nous montre à l'écran nous convainc pratiquement du contraire.

Lorsque Souleymane, qui ne fait pas ses devoirs et envoie promener le prof, se retrouve devant le conseil de discipline après un malheureux incident, on n'a pas pitié de lui. On se dit qu'il a eu ce qu'il méritait. Mais quand tombe l'avis d'expulsion qui l'assure d'être renvoyé au Mali par son père, on n'applaudit pas une mesure qui va compromettre sa vie à jamais.

Reste qu'on a l'impression que le film de Cantet nous dit que c'est la faute de Souleymane. Et que l'école ne peut pas éternellement attendre que les Souleymane de ce monde reviennent dans le droit de chemin. À un moment, l'école doit sévir, sinon ce n'est plus tenable pour les autres.

Cantet n'est pas d'accord avec mon interprétation. «Au contraire, dit-il, je crois que l'école doit tout faire pour sauver les cas problèmes. Cela dit, je suis conscient que tout cela est complexe et que, en fin de compte, il n'y a pas de réponses simples. Il n'y a que des questions.»

Pour ce qui est des questions, Entre les murs en soulève en masse. C'est sans doute ce qui fait la force de ce film coup de poing, mais aussi son ambiguïté. En fin de compte, chacun trouve dans ce film ce qu'il cherchait et parfois même ce qu'il ne cherchait pas. Quant aux 25 jeunes du film, l'espace d'un soir, à Cannes, non seulement ils ont été des héros applaudis, mais ils sont devenus, pour la première fois de leur vie, l'image même de la France: la France des banlieues qui bouillonnent comme celle de Sarkozy. Cette reconnaissance est sans doute la plus grande victoire de ce film.

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Entre les murs prend l'affiche le 23 janvier.