L'an dernier, la cérémonie des Oscars a obtenu les plus faibles cotes d'écoute de son histoire. Le match sanglant qui s'est joué entre No Country for Old Men et There Will Be Blood, duel duquel les frères Coen sont sortis vainqueurs, n'a pas beaucoup intéressé le spectateur «moyen». Plusieurs observateurs ont déploré la chose en faisant valoir que les membres de l'Académie ne sélectionnaient désormais plus que des films «indépendants» destinés à des publics plus confidentiels.

Ces mêmes gens se frottaient les mains cette année à l'idée qu'un film rallierait enfin public et professionnels de la même manière que l'avaient fait Titanic et The Lord of the Rings. À leurs yeux, il était évident que The Dark Knight était promis aux plus grands honneurs. Puis, le verdict est tombé: huit nominations, mais une seule dans les catégories «de pointe» (Heath Ledger).

Bien sûr, la superproduction de Christopher Nolan aurait fait très honorable figure dans la catégorie du meilleur film de l'année. Les membres de l'Académie en ont décidé autrement en jouant de prudence, estimant sans doute qu'un film de ce genre ne répond pas au profil attendu d'une oeuvre digne d'un Oscar. Et puis, il n'y a que cinq places après tout.

Alors, on enlève quoi pour mettre The Dark Knight à la place? The Reader? Frost/Nixon? Au risque de me faire lancer des roches, j'ose un titre. Personnellement, j'aurais retranché Slumdog Millionaire, un film poseur dont je trouve la réputation surfaite. La vague qui l'emporte présentement est pourtant tellement forte - et tellement unanime - que le drame de Danny Boyle, gratifié de 10 nominations, est d'emblée établi favori. Pour l'instant à tout le moins.

Sur la ligne de départ d'une course dont l'issue n'est pas encore tout à fait déterminée, force est de reconnaître que Slumdog Millionaire sera dur à battre. Mais la «campagne électorale» s'étalant sur la durée d'un mois, le «momentum» risque quand même de louvoyer d'un candidat à l'autre, dirais-je si j'étais sportif.

Malgré ses 13 nominations,The Curious Case of Benjamin Button - un film tout désigné pour les Oscars - ne semble susciter ni ferveur, ni enthousiasme. Milk (8 nominations), qui aurait mon appui si j'avais droit de vote, pourrait subir un effet de ressac «à la» Brokeback Mountain à cause de son aspect plus «militant». Frost/Nixon (5 nominations) est un film formidable pour lequel on a quand même du mal à entrevoir la perspective d'un sacre suprême. Quant à l'excellent The Reader, aucun observateur ne s'attendait à ce que le film de Stephen Daldry se rende aussi loin.

Cela dit, les producteurs de la cérémonie ne devraient pas trop sombrer dans la déprime. Cette 81e soirée des Oscars nous réservera en effet de bons moments, avec du beau monde sur le tapis rouge. Parions un petit deux que la caméra se braquera sur Angelina Jolie et Brad Pitt plus souvent qu'à leur tour. Le couple le plus glamour de la planète cinéma en nomination? Pour deux films différents? Du bonbon.

De toutes les courses qui s'amorcent, la plus intéressante à suivre sera sans doute celle du meilleur acteur. Sean Penn livre une performance extraordinaire dans Milk, cela est entendu. Mais je souhaite sincèrement que Mickey Rourke l'emporte. Pour toutes sortes de raisons. Pour la qualité de son interprétation d'abord. Mais aussi, pour tout ce que ce prix pourrait symboliser. Comme une victoire sur le destin.

J'ai le sentiment que les membres de l'Académie seront aussi sensibles à cet aspect des choses. D'autant plus que son «rival» a déjà été consacré il y a cinq ans grâce à Mystic River. Dans une ville qui façonne l'idée même que nous nous faisons du rêve américain, ne serait-ce pas le plus beau des scénarios?

On déplore

Que la sublime chanson de Bruce Springsteen, écrite pour The Wrestler, n'ait pas été retenue. Cela dépasse l'entendement. On peut aussi s'étonner, dans la même catégorie, de l'absence de The Story, une très belle chanson de Norah Jones, entendue dans My Blueberry Nights. Tout cela est d'autant plus étrange que seulement trois chansons - dont deux extraites de Slumdog Millionaire - se retrouvent en lice.

Fibre patriotique oblige, l'élimination de Ce qu'il faut pour vivre dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère m'a aussi attristé. Cela dit, Benoît Pilon pourra se consoler à l'idée d'avoir été présélectionné parmi les neuf semi-finalistes, un honneur auquel n'a même pas eu droit Gomorra, le film italien de Matteo Garrone, même s'il figurait pourtant dans presque tous les pronostics.

À moins d'un revirement, la course devrait être serrée entre Valse avec Bachir et Entre les murs. Signalons par ailleurs que l'entrée japonaise, Okuribito (Departures), aussi un beau film, a obtenu le Grand Prix des Amériques au FFM l'an dernier.

On applaudit

La nomination de David Hare, auteur de l'adaptation du roman de Bernhard Schlink The Reader (Le liseur). Même si le dramaturge britannique a accouché d'une adaptation remarquable, cette nomination est quand même un peu inattendue. En effet, ni les Golden Globes ni la Writers Guild n'avaient cru bon souligner le travail du scénariste!

Réjouissons-nous aussi de la sélection surprise de Michael Shannon dans la catégorie du meilleur acteur de soutien. Non seulement l'honneur de Revolutionary Road, dont la représentation est curieusement très faible, est-il un peu plus sauf, mais cette nomination attirera aussi l'attention sur l'une des performances les plus étonnantes de l'année.