Depuis maintenant plusieurs années, les grands studios ont laissé la production de films destinés à un public plus mûr à leurs filiales spécialisées. Ils préfèrent ainsi garder de leur côté les superproductions réalisées à grands coups d'effets spéciaux et les comédies à vocation plus populaire.

Bien sûr, il y a parfois des exceptions. Duplicity, le nouveau film de Tony Gilroy (à l'affiche aujourd'hui), en est une. Au lendemain de la première montréalaise de cet excellent suspense d'espionnage mettant en vedette Julia Roberts et Clive Owen, j'évoquais sur mon blogue la position enviable d'un auteur cinéaste qui, après le succès de Michael Clayton, a pu obtenir le droit de regard final (le fameux final cut) sur son film. À l'intérieur du système hollywoodien, rares sont ceux qui bénéficient d'un tel privilège.

Du coup, la marque d'un véritable auteur dans un tel contexte force les observateurs à tirer quelques conclusions, notamment sur l'évolution de l'industrie du cinéma sur le plan de l'exploitation en salle. Dans un long reportage publié récemment dans le New Yorker, le journaliste D.T. Max faisait en outre remarquer que les studios considéraient désormais les adultes comme un public plus circonscrit, plus restreint. «Les adultes plus mûrs ne vont plus dans les salles, explique-t-il. Les ados et les jeunes adultes, si. Ils préfèrent l'action au dialogue, en partie parce qu'ils croient déjà tout savoir de ces personnages de cinéma. Un scénariste plus intéressé par le comportement humain que par le spectacle ou les superhéros sera ignoré par les bonzes des studios.»

 

La discussion a suscité des commentaires intéressants sur le blogue. L'un des intervenants, dont le pseudo est «snooze», relevait la nature très «weird» de l'époque dans laquelle on vit, où «plus personne n'est vieux». «J'aimerais bien, a-t-il écrit, que les adultes deviennent des adultes un bon moment donné et qu'ils décrochent des bédé et des jeux vidéo. Nous vivons une drôle d'époque où les gars de 40 ans vivent et pensent comme des ados de 15 ans, mais avec plus de fric! Quand les adultes consommeront du cinéma conçu pour eux, peut-être qu'Hollywood produira des films ayant plus de substance. Exiger le contraire (des films pour ados de 40 ans) commence à ressembler à du déni et à du désespoir à peine voilé.»

Il s'agit là d'une analyse un peu provocante, certes, mais notre correspondant ne décrirait-il pas là le syndrome des Invincibles par hasard? Ce trait de société, souvent conjugué au masculin, serait-il si généralisé?

Quoi qu'il en soit, il sera intéressant de suivre la carrière de Duplicity pour mesurer la viabilité d'un cinéma qui, sans négliger sa vocation populaire, propose quand même une approche un peu plus raffinée sur le plan narratif. Un film dont le récit est construit autour de personnages qui pensent en adultes peut-il encore être prisé à Hollywood? À nous d'en décider.

Vive les grimaces!

Dans la ville palestinienne de Hébron, un jeune photographe français s'approche d'un mur planté au beau milieu d'une place et colle la photo géante d'un homme qui fait une grimace. Un attroupement se forme très vite. Un imam croit avoir affaire à une «bande de Juifs». Le photographe expose une deuxième photo. On y voit un autre homme faire le pitre en tirant la langue ou en étirant les yeux. Le premier cliché montre le visage d'un musicien juif; le second, celui d'un musicien palestinien. Le concept: afficher des deux côtés du mur de séparation, ainsi que dans d'autres endroits «inévitables» en Israël et dans les territoires palestiniens, des portraits jumelés d'un Palestinien et d'un Israélien exerçant le même métier. Un jeu de miroirs auquel la quarantaine de participants se sont prêtés de façon tout à fait ludique, caricaturant par une grimace l'idée même qu'ils se font de leur vis-à-vis inconnu.

C'était il y a deux ans. Le photographe JR et le producteur Marc Bérébi ont entrepris de réaliser, sans autorisation, ce qui devait devenir «la plus grande exposition artistique illégale au monde». Une équipe de tournage, dirigée par Gmax (Gérard Maximin), s'est rendue sur place pour suivre au jour le jour l'évolution de Face2Face, ce projet en forme de guérilla artistique. Le document qui en a été tiré, Faces, fait l'objet de deux représentations ce week-end au Cinéma du Parc dans le cadre du Festival de films sur les droits de la personne de Montréal.

En voyant ce film, j'ai pensé, curieusement, à James Moore, notre très cultivé ministre du Patrimoine. J'ai aussi songé à tous ceux qui, surtout en période de difficultés économiques, n'ont de cesse de remettre en question le rôle des artistes dans une société. J'aurais envie de suggérer à tout ce beau monde de courir aller voir Faces. Je leur dirais aussi de profiter de l'occasion pour aller faire un tour au Festival international du film sur l'art, qui s'est ouvert hier soir.

Ils constateront alors à quel point un simple geste de nature artistique peut nous entraîner en des zones insoupçonnés. Ils verront aussi que même dans le plus hostile des contextes, l'art peut parfois nous remettre en face de notre propre humanité. Quitte à en faire des grimaces.