À chaque jour son grand maître américain. Après Francis Ford Coppola, venu présenter jeudi son nouveau film Tetro en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, Martin Scorsese était de passage aujourd'hui sur la Croisette afin de parler des derniers films restaurés par la World Cinema Foundation (WCF), dont il est le président et fondateur.

Le cinéaste de Raging Bull et de Goodfellas, en pleine post-production de son prochain long métrage, Shutter Island, présentait en soirée The Red Shoes (1948), de Michael Powell et Emeric Pressburger, un film dont un personnage du dernier Coppola dit justement «qu'il doit être vu avant de mourir».

«C'est un film qui a influencé beaucoup de cinéastes de ma génération, dit Martin Scorsese. Francis (Coppola) le cite souvent en exemple. Brian De Palma dit que c'est LE film qui l'a poussé à devenir cinéaste. Je me souviens très bien de l'avoir vu avec mon père, à 8 ans, à New York. Mais c'est un film qui, comme bien d'autres, avait besoin d'être préservé et restauré.»

C'est l'objectif que s'est donné la WCF, un organisme à but non lucratif: sauvegarder et faire connaître des œuvres trop longtemps négligées, partout dans le monde. Un travail de longue haleine - il faut libérer des droits, trouver les fonds nécessaires - qui peut prendre jusqu'à 20 ans.

Les films restaurés par la WCF font chaque année l'objet d'une première au Festival de Cannes. Cette année, dans le cadre de la série Cannes Classics, on pourra entre autres redécouvrir des films d'Edward Yang, de Fred Zinnemann et Emilio Gomez Muriel, ainsi que le grand classique oublié de la cinématographie égyptienne, Al Momia, de Shadi Abdel Salam.

«Vous serez surpris, mais j'ai la fâcheuse habitude d'être pessimiste, a lancé Scorsese en conférence de presse, avec son humour habituel. Les films sont fragiles et se détériorent rapidement s'ils ne sont pas conservés dans de bonnes conditions. Ces conditions, malheureusement, varient beaucoup d'un pays à l'autre.»

Toujours passionné

Le plus cinéphile des cinéastes américains (voir son documentaire Il mio viaggio in Italia) est conscient que l'effort de préservation de sa fondation n'est pertinent que si les oeuvres peuvent être diffusées. C'est la raison pour laquelle il a annoncé une collaboration avec la cinémathèque virtuelle Les Auteurs, le diffuseur B-Sides et la célèbre maison Criterion, qui produira des DVD des films restaurés.

«Je crois que nous pouvons faire une différence en rendant ces films disponibles. Évidemment, dans certains pays où nous travaillons, il y a des gens qui n'ont pas de quoi se loger ou se nourrir. Je ne crois pas que ce soit une raison pour ne pas protéger leur culture.»

Le cinéaste de 66 ans, qui parle avec une rare passion de son art, regrette que 90 % du cinéma muet ait déjà disparu et que des œuvres de cinéastes incontournables comme Orson Welles ou Erich von Stroheim ne soient plus disponibles. «Tellement de films ont été négligés. La perte est énorme», dit-il.

Comment la WCF choisit-elle les titres qu'elle décide de protéger?

«Les membres de la fondation suggèrent des films. J'ai aussi des passions pour certains titres et pour certains cinéastes. Nous considérons évidemment l'état des copies existantes, en donnant la priorité à celles qui sont le plus abîmées, mais nous évaluons aussi la longévité et l'importance des œuvres. Plus il y a de films restaurés, plus les gens les voient, et plus il y aura de films préservés.»